dossier « IL Y A DE PLUS EN PLUS DE GENS INUTILES AU MONDE… » David Praile et Denisuvier, respectivement coordinateur et animateur de solidarités nouvelles, posent un regard lucide mais glaçant sur l’état de la grande précarité. et si Charleroi, épicentre de leur s actions, accumule les problèmes, le constat vaut aussi pour l’ensemble de la Wallonie. Il est gr and temps, estiment-ils, de réinventer la collabor ation avec des instances publiques tentées par des politiques de plus en plus sélectives… Rencontre. David, tu peux nous r appeler l’objet de l’asblsolidarités nouvelles ? David Pr aile : C’est une association d’éducation permanente centrée sur la question du logement, organisée autour de la mobilisation des habitants dans une logique de défense des droits des locataires. on intervient avec les habitants des logements sociaux, les personnes mal logées dans le privé, les habitants des campings, des parcs résidentiels, et puis les habitants de la rue ici à Charleroi. L’objectif c’est que les habitants aient une meilleure maîtrise de leur situation, qu’ils puissent faire valoir leurs droits, qu’ils puissent devenir des acteurs de changement social. Denis, tu es animateur de r ue pour solidarités nouvelles mais tu es aussi à l’o- ri gine du pr oj et commun autai re et bénévole « Pose ton sac. » Tu peux nous en dire plus ? Denisuvier : J’ai toujours dit « donnez-moi un bâtiment et je vous montrerai qu’on peut faire du social autrement. » on cloisonne trop le social aujourd’hui. on est dans un système de statistiques et de réussite. faire de la réussite, c’est comme faire une équipe de football : on prend les meilleurs, les autres on les jette ! on crée de l’exclusion… Alors, si je ne peux pas faire avec le social, je me démerde, c’est ça « Pose ton sac. », ouvrir des perspectives d’actions différentes, c’est un peu ce qu’on fait au « château » (une maison à Couillet que j’appelle le château) : tu poses ton sac et on voit ce qu’on peut faire avec toi. un parcours où on essaye de trouver des solutions. DP : Denis est pionnier là-dessus au sein de solidarités nouvelles. C’est un projet différent, à la croisée des chemins de l’éducation permanente et d’un travail social davantage axé sur le collectif : mettre des solutions en place en ouvrant des portes plus qu’en en fermant. Aujourd’hui, dans le fonctionnement des institutions sociales, il y a une tentation de travailler pour le plus grand nombre, pour ceux qui peuvent se conformer, les autres n’ont qu’à s’adapter… Autrement dit, s’il y a de moins en moins à partager, partageons avec les plus méritants, ceux qui se conforment le plus. or il y a de plus en plus de gens qui ne se retrouvent pas dans les mécanismes d’aides proposés, qui n’ont pas envie ou qui n’ont pas de raisons de s’adapter. Vos criti ques des ins tit utions social es visent aussi le fonctionnement des CPAs ? DP : Tout le monde doit balayer devant sa porte, institutions publiques ou associations. Il y a des travailleurs d’institutions qui font un boulot remarquable, heureusement qu’ils sont là. sans ça la situation serait bien plus dramatique. A Charleroi en particulier où les institutions publiques comme le CPAs sont en pointe sur des projets novateurs. Mais ce n’est pas toujours à la hauteur des réalités de terrain. La difficulté pour certaines personnes en décrochage c’est de rentrer dans le moule. C’est l’évolution sociale ça, des gens de plus en plus jeunes, à la rue, sans parcours scolaire ou d’insertion 14 fabienne Denoncin socioprofessionnelle, rétifs à se conformer à une série de contraintes dont ils ne voient pas le sens : procédures administratives inextricables, empilement des réglementations où plus personne ne s’y retrouve même les juristes… Parfois le remède est pire que le mal. exemple : les fermetures de logements insalubres alors qu’il n’y a pas de mesures de relogement efficaces. Les gens sont deux fois victimes de leur situation. on produit l’inverse de ce qu’on veut. on est dans une situation de gestion de la pénurie : énormément de demandes et très peu d’offres. Alors on responsabilise à outrance les gens pour rechercher un emploi, on sait qu’ils ne vont pas en trouver mais il faut qu’ils en cherchent. Le parallèle est évident avec le logement : trouver un bon logement c’est comme trouver un bon emploi, c’est chercher ce qui n’existe pas… Du : Des institutions comme le CPAs par exemple, à Charleroi, elles ont le monopole de la pensée. on travaille donc dans ce monopole. finalement je me bats contre mon propre « social. » on a une liberté de dire mais on est cloisonné par des structures qu’on s’est battu pour mettre en place. Je voudrais que ces structures écoutent plus les travailleurs, qu’on accompagne plus les mecs qui vont dans les squats pour voir les gens dans quel état ils sont. on essaye de travailler autrement mais ce n’est pas la seule solution, il faut de nouvelles formes de collaborations. |