portrait culturel Tu as un r appor t bien par ticulier à l’Italie, non ? C’est un peu le hasard, mais c’est aussi lié aux voyages avec mes parents quand j’étais enfant, puis adolescent. J’y suis retourné seul, puis avec des amis. Il y a des choses difficilement explicables, comme ces endroits sur terre où tu te sens incroyablement bien. Pour moi, c’était l’Italie et ça l’est toujours d’ailleurs. La région dont je suis tombé amoureux, c’est l'Émilie-romagne, la « terre rouge ». Cette région, aujourd’hui encore, est restée très politique. Ce n’est pas la belle Italie des cartes postales avec les vallons toscans que je trouve magnifiques, c’est la plaine du Pô, c’est Bologne, ferrare… Il y fait un peu plus âpre, on y mange divinement bien, les villes et les filles sont subliment belles. et en Belgique, t u as un aut eur, un romancier favori ? emile Tissier. C’est un très beau témoignage de ce qu’est le parcours d’un intellectuel à gauche dans les années 30, si difficiles. On lui doit cette très belle expression pour tous les acteurs intellectuels de la gauche : « Je suis un membre honoraire du prolétariat ». On ne sera jamais un prolétaire quand on est un dirigeant, mais on peut l’être quand même, d’une certaine manière, en tant que « membre honoraire ». et dans le cinéma ou l’ar t belge, les frèr es Dardenne par exemple ? Je ne suis pas un fana de belgitude. et ceux qui me frappe le plus, je le reconnais, sont flamands. Ce n’est pas fort dans l’air du temps de dire cela, mais je viens de lire le livre de Tom Lanoye et celui de Dimitri Verhulst qui viennent, tous les deux, d’être traduits en français. Ce sont là, à mon sens, deux magnifiques romans : « De Helaasheid der Dingen », mal traduit en français « La merditude des choses », et « spraakeloos » de Tom Lanoye, un portrait sur sa mère qui a perdu l’usage de la parole. Un peu à l’instar d’Hugo Claus qui a fait un portrait de la Belgique profonde. Ce n’est pas un portrait flamand, mais bien plus de la Belgique. D’ailleurs, les deux romanciers sont très antinationalistes et ouverts à la culture française. et dans le cinéma, c’est aussi du côté flamand, me semble-t-il, qu’il y a un dynamisme. rundskop, « Tête de bœuf », film qui vient de sortir sur le trafic, les mafias des hormones, est un film vraiment marquant avec une belle prestation d’acteurs. en revanche, je ne suis pas un grand fan des films des frères Dardenne je l’avoue, même si je les ai tous vus. Je trouve qu’ils ont eu une période assez magique autour de « rosetta », « Le fils » et « L’enfant ». « La Promesse », j’aimais moins car il y a un côté donneur de leçons, rédempteur, qui est revenu avec « Le silence de Lorna » et « Le Gamin au Vélo ». J’ai eu l’occasion de le leur dire, donc j’assume parfaitement. « rosetta », « Le fils » et « L’enfant » sont trois films durs, bruts, qui sont dans la vraie tradition du réalisme social, un peu à l’italienne avec en plus cette caméra épaule, expérimentale. C’est parfois un peu dur, mais leur caméra glisse sur les choses avec discrétion, avec délicatesse, et elle cerne des aspects de la vie qui sont peu mis au grand jour, sans jugement aucun. Tandis que dans les derniers il y a toujours le sauveur, le rédempteur, c’est un thème moral avec lequel j’ai un peu de mal. Calvino disait justement « Dans les arts, on ne doit jamais représenter la vertu ». Je trouve qu’il a raison. On ne demande pas ni à la littérature ni au cinéma de représenter le bien, on doit représenter les dilemmes et c’est à chacun ou aux lecteurs de se faire sa propre leçon. 6 Quelle est ta période préférée de l’histoir e ancienne et de l’histoire contempor aine ? Ce que je trouve fascinant dans l’histoire ancienne, c’est que les périodes que l’on trouve être des périodes formidables ne le sont pas du tout en réalité. Nous sommes occupés à le redécouvrir. Par exemple, j’ai été longtemps fasciné par la rome républicaine, au Ier siècle avant notre ère, parce qu’il y avait le génie architectural et urbanistique, beaucoup plus que philosophique (il y a peu de poètes, de philosophes à cette époque-là, même s’ils mettent tout leur génie en œuvre). C’est un peuple composé de juristes et d’ingénieurs, et cela paraît captivant. et puis, quand on relit l’histoire aujourd’hui, on se rend compte qu’il s’agissait de civilisations horribles, violentes, machistes, brutales, meurtrières. La série télévisée « rome », de ce point de vue-là, est remarquablement bien faite en ce qu’elle remet en mémoire toute cette dureté de rome. Dans le très beau livre sur l’histoire des villes de Lewis Mumford, celui-ci fait toute l’apologie de la ville étrusque en disant qu’elle était aussi belle que la ville romaine, mais beaucoup plus propre, plus aérée. C’est exactement la même chose pour la renaissance et le Moyen-Âge. Nous avons une vision enjolivée de la renaissance avec l’arrivée de la perspective, de l’architecture, de florence et la Galerie des Offices, des grands peintres… Pour autant, la renaissance est une période terriblement brutale, violente. elle représente la peste, les maladies, les meurtres, les villes pestilentielles. De même, la fin du Moyen-Âge présente dans nos imaginaires est généralement identifiée à une période horrible, alors qu’elle est en fait la période où l’on redécouvre Aristote, les textes grecs, où le village médiéval est un village beaucoup plus ouvert, où les classes sociales se mélangent, etc. en fin de compte, je n’ai pas une période préférée, Vincent Chiavetta |