Agir Par la Culture n°22 avr/mai/jun 2010
Agir Par la Culture n°22 avr/mai/jun 2010
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°22 de avr/mai/jun 2010

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Présence et Action Culturelles

  • Format : (210 x 297) mm

  • Nombre de pages : 16

  • Taille du fichier PDF : 5,2 Mo

  • Dans ce numéro : pauvreté... défilés précaires.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

Dans ce numéro...
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Véronique Vincent est coordinatrice à PAC Dinant-Philippeville. Elle travaille au plus près de l’éducation permanente depuis quelques années maintenant. Inventive et créative, proche de ses publics, Véronique développe des projets porteurs de sens que nous trouvions intéressants de partager avec nos lecteurs. Rencontre avec Véronique Vincent Commençons par situer géogr aphiquement et socio-politiquement par lant la région où Véronique tr availle. Quels en sont les par ticularismes, la car te sociale, les ressources locales ? Il faut savoir explique-t-elle que Couvin et Viroinval sont deux communes frontalières situées au Sud de l’Entre- Sambre et Meuse, dans l’arrondissement de Philippeville. Jusqu’à la crise économique des années 1970, la ville de 10 Véronique Vincent vivant en région rurale dans l’isolement et l’oubli. Les CPAS sont sur le point d’exploser, les gens s’y rendent préventivement, s’informent pour être prêts en cas de coup dur, un événement imprévisible qui surgirait un jour où l’autre. D’autres ont le profil tout tracé, ils allaient déjà mal, aujourd’hui, ils sont encore plus mal. L’ar t de la débrouille Si en milieu urbain, poursuit Christine Mahy, le SDF peut très bien être défini, le non-logement c’est la rue, le squat, les asiles de nuit, la soupe populaire, les restos du cœur etc. En milieu rural, le SDF se traduit par l’installation dans une caravane, une tente, les chalets de jardin ou très souvent la voiture, les gens vivent dans leur véhicule. Le plan initial de la Région wallonne qui permettait de se loger dans des campings résidentiels, visait une solution de dépannage, limitée dans le temps en attente de relogement sur le long terme. Aujourd’hui ce dispositif est devenu « durable ! ». D’autre part pour la majorité des jeunes, l’accès à l’emploi demande souvent d’être motorisé. Payer un logement et une voiture est presque impossible. Ils restent donc plus longtemps dépendants de la cellule parentale. L’emploi durable n’existe pas, quand il y a des contrats, ce sont des emplois à temps partiel obligatoire dans les grandes surfaces, les intérims, de surcroît mal rémunérés. Les demandes de logement dans les Agences immobilières sociales crèvent les plafonds (Trop de demandes pour peu d’offres malheureusement). Le principe de ces AIS est un bon système, il permet d’éviter la ghettoïsation d’une grosse majorité d’allocataires sociaux, qui au contraire sont ventilés au cœur des quartiers les plus divers. Les AIS en termes de loyer varient entre 200 et 400 € en fonction de la taille du logement, le nombre de chambres, l’accès aux services de proximité, la qualité énergétique, l’équipement etc. On remarque explique Christine Mahy que plus de 25% des locataires enregistrent un retard d’au moins un mois de loyer ces 2 dernières années, tant dans les sociétés de logements de services publics (SLSP) que dans les logements AIS. Septembre et décembre sont des mois difficiles mais juillet et août aussi … les familles doivent faire face à des dépenses extraordinaires pour offrir des activités aux enfants durant les vacances scolaires (plaines, stages, …) Octobre et novembre sont les périodes où il faut remplir les citernes à mazout et les mois d’hiver supposent aussi des dépenses médicales. Autre constat troublant, c’est un ensemble de services sociaux, voire de biens fondamentaux désormais assurés par le milieu de l’enseignement. Les écoles sont dévolues à d’autres missions que la pédagogie, elles pallient le besoin de nourrir et vêtir les enfants des familles en grande difficulté, de satisfaire les premières nécessités. Il y a des Nismes-Couvin : un défilé précaire mois où la question du renouvellement d’abonnement scolaire se pose, si les rentrées financières ne le permettent pas, l’enfant s’abstiendra d’aller à l’école pendant quelque temps. En Wallonie, 15% de la population vit endessous du seuil de pauvreté. Un autre indicateur d’appauvrissement des familles est le nombre croissant de maisons qui sont revendues, suite à un prêt hypothécaire auquel elles ne peuvent plus faire face. Aujourd’hui même une famille avec deux revenus moyens n’a plus de coussin de sécurité, elle vit sur un flux tendu continuellement, le moindre couac la ferait basculer dans le rouge. Ce que l’on remarque également depuis quelques temps, c’est le retour à l’autarcie, le retour à la terre, aux produits maison, au petit élevage, au potager, non pas dans un pur souci écologique, mais afin de réduire le coût alimentaire. Certains d’ailleurs cultivent pour la collectivité, ils vendent aux CPAS, qui revendent les denrées moins chères aux familles, aux personnes âgées. Les CPAS deviennent une sorte d’épicerie sociale. Contrairement au milieu urbain, une grosse différence s’affiche, celle d’un manque criant de maisons médicales, de complexes de soins. Ces dispositifs sont rares, l’accès aux soins de santé s’en ressent fortement. Autre problème pointé celui des gardes d’enfants en effet, les distances sont telles qu’elles constituent un véritable casse-tête pour les parents. Il faut alors recourir d’inventivité, d’imagination, construire des solutions de débrouille, des systèmes de solidarité avec les voisins, les amis etc. Quant à l’accès à la culture, autant dire qu’il est relégué aux fins fonds de leurs préoccupations. Même l’article 27 ne suffit plus à les ramener aux spectacles. Enfin, la pauvreté en milieu rural se traduit aussi par l’isolement qui conduit à l’enfermement de soi vis-à-vis de l’autre et à se réfugier dans la spirale de l’alcool. Plus d’infos : c.mahy@rwlp.be Couvin était un centre industriel important et réputé : raquettes Donnay, fonderies et poêleries (Effel, Nestor Martin, Saint-Roch, Sony,…), menuiseries. Ces entreprises étaient pourvoyeuses d’emplois qualifiés ou non et les ouvriers venaient de l’arrondissement de Philippeville, de même que de la France. Par ailleurs, l’école normale, qui préparait des instituteurs et institutrices offrait une formation supérieure « de proximité ». Le tissu industriel s’est amenuisé au fil des années et, de restructurations en fusions, le nombre de personnes employées s’en est trouvé réduit au strict minimum. Parallèlement, à ce détricotage, l’école normale a fermé et l’offre de formation supérieure a été supprimée, obligeant les étudiants à poursuivre leurs études au plus près à Charleroi ou Namur, ce qui représente bien entendu un coût important pour des familles aux revenus limités. Actuellement, le parc industriel du bureau économique de la province (Mariembourg) attire des PME qui, si elles fournissent quelques emplois, ne peuvent absorber le nombre de personnes au chômage ou en demande de travail (personnes bénéficiant du revenu d’intégration sociale, personnes « rayées » cohabitantes, travailleurs à temps partiel, etc.). C’est donc dans cet environnement que la locale « PAC des Eaux Vives » évolue. Ce groupe à projets se réunit régulièrement depuis 2006, autour d’un thème choisi. Cette année-là, il s’agissait de l’extrême-droite : la proximité des élections communales, la présence de personnes candidates réfugiées dans la commune favorisaient les discours racistes et créaient un certain malaise. Nous avons donc travaillé le sujet, il en est sorti une affiche et l’idée d’un énorme cachet que nous aurions voulu apposer sur les affiches des partis « non démocratiques ». Faute de temps, nous n’avons pu passer à cette phase d’action. De ces réflexions sur les facteurs que le groupe ressentait comme favorisant
l’extrême-droite sont nées les idées de se questionner sur les pauvretés et, dans un premier temps, de créer un jardin solidaire démocratique. Dans ce jardin seraient cultivés des légumes, bien entendu, mais également serait menée une réflexion sur le « comment occuper l’espace chacun et ensemble ». La conception et la réalisation de ce projet, ainsi que les rencontres relatives aux pauvretés (et, plus largement, aux choix de société, à la défense de valeurs desquelles nous nous revendiquons), nous ont occupé en 2007. « Terre en Vue et Herbes Folles » produit des légumes, draine un public multiculturel et favorise la mixité sociale, mais bien plus encore : il s’agit d’un espace de réflexion sur nos modes de production, de consommation et nos choix de vie. Le thème de l’année 2008 a été la mise en scène, par une création collective coachée par la Cie Maritime, de l’histoire de l’industrialisation et désindustrialisation de Couvin. Des témoignages ont été recueillis, des personnes qui ont vécu cette période ont participé à l’écriture et aux représentations. Cette pièce a été finalisée au moment de la crise financière. Inutile de dire qu’elle a rencontré un franc succès. Comment s’y prend-t-on pour réaliser une opér ation d’éducation permanente d’enver gure avec des populations fra gilisées, tel que le Carrousel des Paufffsss ? Fin 2008 : crise financière. Lors d’une discussion informelle, PAC Dinant-Philippeville et Vie Féminine constatent la précarisation de leurs groupes à projets respectifs. Un appel sera lancé aux différents mouvements d’éducation permanente présents sur l’arrondissement de Philippeville, auquel ont répondu le GSARA et le CIEP-MOC. Nous avons proposé à nos groupes une mise en commun des résultats de nos cogitations deux fois par an. Au niveau de PAC, nous avons créé deux groupes, autour du thème « que voulons-nous que les autres sachent de nous ? ». Le premier groupe a proposé de créer des saynètes de théâtre (style théâtre invisible), qui reprennent des stéréotypes qui illustrent de manière caricaturale et décalée la stigmatisation dont les personnes pauvres font l’objet. Le second groupe a réfléchi sur des mises en situation à destination des personnes « aisées » et a créé le « jeu du mois » 1. En parallèle, les CIEP-MOC, Vie Féminine et le GSARA ont également réalisé des outils de sensibilisation. En novembre 2009, nous avons choisi de travailler à l’illustration de la tension entre le fait que l’économie de marché dérégulée a besoin d’un « stock » de chômeurs et de pauvres pour pouvoir bien fonctionner et les discours des défenseurs de ce modèle économique, qui trouvent que l’entretien de ces personnes coûte cher à l’Etat, aux entreprises, etc.. Nous en sommes arrivés à la conclusion qu’un minimum serait de reconnaître officiellement la fonction de cette catégorie de gens, qui reçoit juste assez pour survivre et qui est montrée du doigt par la « société ». Concrètement, nous organisons un cycle de rencontres hebdomadaires où des articles traitant de la pauvreté et/ou des politiques économiques sont débattus. C’est également lors de ces échanges que nous définissons le projet et le mettons en œuvre (Groupe porteur du projet). Dans un second temps, nous faisons un appel à participation au projet. C’est ainsi que, pour PAC, cinq groupes se sont constitués, autour de cinq thèmes : - réflexion + création du monument au travailleur pauvre - réflexion + création du monument au travailleur sans emploi - réflexion + création du monument aux bénéficiaires du RIS et autres - réflexion + création d’une exposition : ce que je veux que l’on sache de « ma pauvreté » - réflexion + création d’une œuvre musicale (orchestre rural) à partir d’objets recyclés et/ou détournés. Ces groupes ont à leur tour défini ce qu’ils entendent par le thème et comment l’illustrer. Comment a-t-il été accueilli par les habitants des localités avoisinantes, les autorités communales et politiques ? En 2010 comme en 2009, le projet a été très bien compris par les autorités fédérales, communautaires et régionales, avec lesquelles nous avons collaboré et qui ont soutenu financièrement les créations collectives. Monsieur Courard, Secrétaire d’Etat à la lutte contre la pauvreté, Monsieur Delizée, Secrétaire d’Etat attaché à l’Intégration sociale et Madame Robert – Declerq, députée provinciale nous ont fait le plaisir d’une visite et ont inauguré officiellement les monuments, belle reconnaissance de la réflexion et du travail effectués par les groupes. Au niveau local, la dénomination « Carrousel des Paufffsss » a interpellé, voire heurté, des travailleurs sociaux notamment, qui voyaient dans ce nom une stigmatisation de plus envers les personnes pauvres. Certains d’entre eux pensaient qu’il s’agissait d’une démarche descendante des animateurs et s’étaient montrés choqués. L’éducation permanente est souvent confondue avec la formation permanente (où les consignes peuvent être descendantes). Or, la différence est très claire, nous sommes bien dans le registre de l’éducation permanente et se sont donc les groupes qui ont choisi l’appellation du projet. Les autorités communales l’ont bien compris également et nous ont permis de mener notre projet à bien en nous octroyant les autorisations nécessaires et en offrant le drink d’inauguration. Les habitants quant à eux se sont montrés intrigués… Jean-François Rochez Beaucoup ont participé au jeu du mois et ont ainsi pu approcher le quotidien des personnes pauvres, sans misérabilisme, mais sans complaisance non plus. Peut-on dire que localement ce projet socioculturel va changer la donne, aura-t-il sensibilisé et donné une autr e ima ge des personnes en situation précaire ? D’après les retours que nous avons eus, les personnes qui ont participé à la journée ont effectivement été sensibilisées au sort des personnes pauvres. En cela, notre premier objectif est atteint. Nous espérons que les politiques retiendront également le message que les gens ont fait passer : l’hypocrisie des discours à leur sujet, la culpabilisation quant à la crise que traversent les pays capitalistes suffisent ! ! L’équipe du Carrousel est mobile, nous pouvons donc aller animer des ateliers de sensibilisation à différents endroits ! 1 Il s’agit d’effectuer un parcours, où les jours sont symbolisés par des boîtes aux lettres. Chaque participant est muni d’une fiche d’identité sociale reprenant la situation de famille, de travail, de revenus, une localisation géographique et d’une enveloppe comportant la somme d’argent qui correspond aux revenus. Sur les boîtes, différents postes à payer : le 1er, paiement du loyer ; le 2, paiement de la cantine scolaire,... A chaque étape, les joueurs doivent se départir des montants du loyer, etc., en fonction de leur situation. IMAGES ET USAGES DE LA PAUVRETE Dans le cadre de l’année européenne de lutte contre la pauvreté, PAC organisera en décembre prochain un colloque intitulé « Images et usages de la pauvreté » en partenariat avec les réseaux bruxellois et wallon de lutte contre la pauvreté. Il réunira une quinzaine d’intervenants, universitaires et praticiens de l’action culturelle, belges et européens. Ils réfléchiront aux représentations sociales et médiatiques des pauvres, de la pauvreté et à l’usage de la parole de ces populations par la mise en perspective des méthodes participatives. Ces échanges, complétés par l’examen des possibilités de l’action culturelle et de l’éducation populaire, permettront de cerner les « bonnes pratiques » à adopter en matière de la lutte contre la pauvreté. Ces rencontre s’adressent tant aux publics universitaires (enseignants-chercheurs, étudiants) qu’aux membres d’associations liées à l’action culturelle et aux d’institutions se consacrant à la lutte contre la pauvreté. Ils s’adressent également aux usagers de ces services. 11



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