édito 03 28/10/13 A NOUS C’est pour votre sécurité Heureux le voyageur qui boucle sa valise, histoire d’aller voir d’autres contrées. Malin, celui qui ne la remplit pas trop, prévoyant qu’une pulsion acheteuse est si vite arrivée, et qui n’aura ainsi bientôt à supplier aucun compagnon de voyage de fourrer ses emplettes imprévues dans l’infime espace vide demeurant dans son propre bagage. Malin et demi, celui qui, ayant une correspondance, préférera ne pas envoyer ses effets en soute et les conservera sous son bras, échaudé qu’il aura été un jour de devoir survivre en terre étrangère sans même un tee-shirt de rechange, en plus de devoir hanter le service des objets trouvés. À lui cependant, puisque rien n’est simple quand on voyage, l’étude minutieuse des produits de toilette de plus ou moins de 100 ml, l’omission volontaire de la lime à ongles et de la pince à épiler, la planque de briquet entre le dentifrice et la brosse à dents… Jusqu’à la confection du bagage parfait qui lui permettra de passer sans encombre le fameux contrôle mis en place si ce n’est pour son plaisir, au moins pour sa sécurité. Comme un vieux routard, il saura comment procéder pour balancer de grands casiers en plastique gris sale sur des tapis roulants qui ne roulent pas, enlever sa ceinture, montrer ses chaussures pour que l’on puisse jauger si elles ont trop de talonnettes pour être gardées aux pieds, et comme toujours, finir par enfiler de petits sacs congélation bleus à leur place. Mais il lui faudra aussi extirper son ordinateur de sa housse, ôter ses bijoux, son manteau, réfléchir à ce qu’il doit faire de son passeport – dans la « cuvette » ou pas – vider la monnaie de ses poches, entendre quelqu’un qui crie d’un air exaspéré qu’on ne garde pas son écharpe comme ça, et puis attendre, pas malin, avec une main tenant son pantalon et ses pieds en plastique, pour passer le portique. Là, une fois sur deux, le voyageur, pourtant déjà tout dépouillé, sonnera. « Mettez-vous sur le côté », on lui dira. Ne pas sourire, surtout ne pas sourire pour instaurer comme un semblant de complicité avec la personne habilitée dès lors à le passer au détecteur puis à le tapoter. Enfin autorisé à rassembler ses affaires, il remettra ses bottines (pourquoi diable des chaussures à lacets…), regardera à droite et à gauche sans plus retrouver ses acolytes de départ, lâchement partis au duty free, exaspérera ceux qui le suivent dans la file parce qu’il crée un embouteillage, avant d’entendre une voix lui demander si ce gros sac qui bloque les autres est bien le sien. Oui, oui… Il se dépêchera de le ramasser, ce qui n’était pas le but de la question, car il faudra l’ouvrir maintenant. « – Vous avez des liquides ? – Juste des tout petits… – En tout, moins d’un litre ? –... – Eh bien, on va calculer. » Délesté de son produit à lentilles de 125 ml, mais heureux, le voyageur pourra enfin partir, car désormais l’évasion est à ce prix. Epuisé et heureux, il fêtera ça avec une grande rasade d’eau pétillante, provenant de la belle bouteille grand format qui roupillait dans son cabas et que personne n’était étrangement venu déranger.Carine Chenaux Rédactrice en chef À gauche : Coll. Tom Edwards automne-hiver 2013. Veste à carreaux Harlow, alpaga et laine ; gilet torsadé, laine d’agneau et polyamide ; chemise à motifs en coton ; jean slim en coton ; gants zippés en cuir. www.tomedwards.fr. Photo Guenahel Orgebin À droite : Ceinture de valise, permettant de la sécuriser et de la repérer. www.capsuledeplume.com