4 LUNDI 4 OCTOBRE 2021 e ACTUALITÉ Bernard Tapie en 1992 à Marseille, devant son yacht le Phocéa, à l’origine d’une affaire de fraude fiscale qui lui a valu une interpellation en 1994. Tschaen/Sipa Bernard Tapie Un homme d’affaires « très attachant » L’ex-patron de l’OM, mort dimanche à l’âge de 78 ans, laissera l’image d’un homme sans cesse empêtré dans des déboires judiciaires L Vincent Vantighem e concierge était prévenu. Il n’a donc pas été surpris, ce soir de juin 1993, de voir Bernard Tapie pénétrer par une porte dérobée dans le tribunal de Valenciennes (Nord). Éric de Montgolfier lui avait donné le digicode. Le procureur avait fini par céder à l’homme d’affaires qui voulait absolument le rencontrer pour plaider sa cause dans l’affaire du match truqué entre Valenciennes et l’Olympique de Marseille, dont il était le propriétaire. Peu avant leur entretien, les enquêteurs ont déterré une enveloppe de 250 000 francs (55 000 € en tenant compte de l’inflation) dans le jardin des parents d’un des joueurs de Valenciennes. Surtout, son entraîneur a avoué la tentative de corruption mise en place par les dirigeants marseillais. Éconduit, Bernard Tapie sort donc du bureau et résume ainsi le rendez-vous à Francis Debacker, son avocat d’alors  : À VOIR AUSSI C’est quoi, l’affaire du Crédit Lyonnais ? « Laisse tomber, mon petit Francis ! Monsieur le procureur n’aime pas le foot ! » Condamné à deux ans de prison dont huit mois ferme, l’homme d’affaires sera contraint d’ajouter son nom à la liste des rares ministres ayant dormi derrière les barreaux. « Ce qui prouve que Bernard Tapie était un justiciable comme les autres, résume Éric de Montgolfier. Sauf qu’il ne le savait pas. » Décédé dimanche à 78 ans des suites d’un cancer, Bernard Tapie laisse dans la conscience collective l’image d’un homme perpétuellement empêtré dans les affaires judiciaires. Les châteaux de Bokassa, l’affaire Testut, la revente d’Adidas au Crédit Lyonnais, la fraude fiscale liée à son yacht le Phocéa… Cette dernière a d’ailleurs permis la rencontre de l’homme d’affaires et « Ce n’était pas un client facile. Il fallait être capable de lui dire non au départ. » Hervé Témime, ancien avocat de Bernard Tapie d’Eva Joly. Nous sommes alors en 1994. Juge d’instruction, Eva Joly cherche à savoir si « Nanard » ne minore pas les impôts liés à l’usage de son yacht, grâce à un système de sous-facturations. L’homme d’affaires ne se méfie pas et parle librement au téléphone alors qu’il est sur écoute. Tapie explique qu’il compte partir au Rwanda pour éviter de devoir rendre des comptes à la justice. Informée, Eva Joly envoie la police l’interpeller le lendemain matin, à 6h. « Bernard Tapie était quelqu’un de très attachant, indique-t-elle aujourd’hui à 20 Minutes. Je me souviens des moments où il était dans mon cabinet de juge. Il était tellement convaincant. Vous aviez envie d’adhérer à tout ce qu’il disait. Pourtant, il mentait souvent… Il fallait être costaud pour résister à Tapie. » C’est aussi, et sans doute, pour cela qu’il a épuisé des dizaines d’avocats au long de sa carrière. « Ce n’était pas un client facile, reconnaît Hervé Témime, qui l’a assisté ces dernières années dans l’affaire Adidas-Crédit Lyonnais [lire l’encadré]. Il fallait être capable de lui dire non au départ. Après, ça allait. Il était très respectueux des libertés de chacun. » Il devait être jugé mercredi Le dernier combat judiciaire de Bernard Tapie aurait dû se solder mercredi. Dans deux jours donc. Alors qu’il avait été relaxé en première instance, la cour d’appel de Paris s’apprêtait à rendre son jugement dans la complexe affaire du Crédit Lyonnais. Le 2 juin, le parquet général avait requis cinq ans d’emprisonnement avec sursis pour complicité d’escroquerie et détournement de fonds publics, mais l’homme d’affaires, affaibli par son cancer, avait renoncé à assister à son procès. Il s’est donc éteint en restant innocent dans ce dossier. « Il montait au front de façon spectaculaire contre le FN » Propos recueillis par Thibaut Chevillard 2^ u D’une certaine manière, il aura lutté jusqu’au bout contre l’extrême droite. L’émission de BFMTV à laquelle Marine Le Pen était invitée dimanche a été déprogrammée en raison du décès de Bernard Tapie dans la matinée. Stéphane Rozès, enseignant à Sciences po, revient sur le parcours politique du Marseillais d’adoption. Quel type d’homme politique était Bernard Tapie ? Il a été opportuniste, habile, jouant de son charme, mêlant toujours les affaires et la politique. Opportuniste car, avant d’aller voir les socialistes, Bernard Tapie avait essayé de s’établir et d’exister politiquement à droite. Son côté businessman était-il compatible avec les idées de gauche qu’il portait ? François Mitterrand, habilement, avait compris qu’il fallait substituer à la question sociale la lutte contre le racisme, contre le FN. Il fallait redonner une nouvelle identité à la gauche et l’adapter à un environnement néolibéral. Bernard Tapie correspondait à ça. Et il montait au front de façon spectaculaire contre le Front national. Est-ce que ce combat contre le FN a été efficace ? Il a surtout réussi à mettre en scène une forme d’opposition au FN. Sur le moment, il est apparu comme étant capable de mettre en difficulté Jean- Marie Le Pen. Mais il ne s’agit que d’effets politiques et médiatiques immédiats. Le FN a continué à prospérer. Jean-Marie Le Pen (en haut) et Bernard Tapie, en 1994, avant un débat télévisé. G. Bendrihem/AFP