8 VENDREDI 24 SEPTEMBRE 2021 t Propos recueillis par Laure Beaudonnet et Émilie Petit 20 MINUTES AVEC Le contexte : L’humanité a encore la possibilité de s’adapter aux bouleversements climatiques à venir. Dans Une fois que tu sais, documentaire sorti en salles mercredi, Emmanuel Cappellin offre, à travers une exploration sensible, quelques clés pour nous aider à transformer positivement le sentiment de désolation provoqué par la crise environnementale. Le réalisateur de documentaires français Emmanuel Cappellin. M. Cravat Emmanuel Cappellin documentariste « L’effondrement climatique est de l’ordre de l’irréversible » L’habitabilité de la planète va changer. C’est le terrible constat d’Une fois que tu sais, réalisé par Emmanuel Cappellin. Pendant huit ans, le documentariste français est parti à la rencontre d’experts et de scientifiques pour tenter de comprendre la crise écologique que nous vivons. Une odyssée bouleversante. Une fois que tu sais est le premier documentaire grand public à parler frontalement de la collapsologie. Pourquoi mettre un coup de projecteur sur ce sujet ? J’ai commencé le film en 2012. Il devait s’appeler Ceux qui savent, sur les scientifiques du climat et les experts de l’énergie. Puis c’est devenu Une fois que tu sais. J’ai arrêté de me cacher derrière les scientifiques et j’ai commencé à parler à la première personne. Le deuxième changement, c’était la lecture du livre de Pablo Servigne, Comment tout peut s’effondrer (éd. Seuil). Je me suis dit qu’il fallait que je parle de ce qui me traverse, l’effondrement climatique, qui est de l’ordre de l’irréversible. Le film commence par votre propre prise de conscience du réchauffement climatique et son incidence sur votre quotidien. Pourquoi ne pas avoir choisi d’approfondir la problématique de la solastalgie, la détresse causée par les changements environnementaux ? C’est l’arche narrative du film. J’avais imaginé chaque protagoniste comme une émotion : Richard Heinberg (fondateur du Post Carbon Institute, expert de l’épuisement des ressources pétrolières) pour la tristesse ; SaleemulHuq (expert sur l’adaptation et conseiller en négociation au Giec) pour la saine colère ; Jean-Marc Jancovici (ingénieur et conférencier sur l’énergie et le climat) pour la claque dans la tête, la lucidité ; enfin, Susanne Moser (experte de la montée des eaux et spécialiste de la résilience et de la communication sur le climat au Giec), qui est à la fois dans l’intime et dans le politique. Elle fait une synthèse assez géniale. Elle raconte les étapes par lesquelles on passe en tant que société et en tant qu’individu, avec une simplification des différentes étapes du deuil. On peut passer par la solastalgie, et s’en défaire. C’est plus large que cette émotion. Le besoin de donner un droit de cité à l’émotion sur un sujet souvent traité de manière cartésienne, c’est le parti pris du film. 2" u Quel est votre conseil aux gens qui vivent cette détresse ? Je n’ai pas de conseil à donner, je raconte mon cheminement. Le lien avec l’autre au quotidien, ne pas vivre les choses seul, c’est important. Aujourd’hui, on sent que notre grand projet émancipateur, la modernité, sur lequel reposent nos idéaux humanistes, est en train de se casser la figure. Mais ce n’est pas impossible d’accepter qu’on est sur une fin de cycle civilisationnel. Comment se projette-t-on ? Cette question me donne envie de tout donner, même si ça foire. Parce que, en effet, ça va sans doute foirer. On va changer l’habitabilité de la Terre, c’est certain. Vous donnez l’exemple du Bangladesh pour donner à voir un autre futur que le chaos décrit par certains collapsologues. Comment voyezvous les années qui viennent ? Le Bangladesh montre des gens qui vivent déjà des catastrophes climatiques. On n’est pas du tout dans la série L’Effondrement, de Canal+, où l’homme « L’humain est un animal extrêmement résilient qui s’adapte sous la contrainte. Mais il y a une limite à l’adaptation, et on va ailleurs. Ça pose la question politique des mouvements humains. » est un loup pour l’homme. Les gens vivent très dignement. L’humain est un animal extrêmement résilient qui s’adapte sous la contrainte. Mais il y a une limite à l’adaptation et on va ailleurs. Ça pose la question politique des mouvements humains. Le Bangladesh est un tournant important dans le film. Il permet de sortir du nombrilisme occidental. Comment avez-vous accueilli le rapport du Giec dévoilé cet été ? On est dans une sorte de grande tragédie grecque. Les oracles modernes sont les modèles climatiques, les sibylles contemporaines sont les scientifiques, sortes de prophètes du malheur chargés de dire : « Voilà ce que nous a dit l’oracle. » Nous, avec cette information, on veut changer notre destinée. Mais on est dans un processus géologique qui nous dépasse. Ce qui est important, c’est comment on vit avec cette réalité. Vous semblez adhérer totalement à ce récit effondriste. Qu’en est-il ? J’adhère au récit selon lequel on va vers une descente énergétique, soit parce qu’il faudra diviser l’énergie disponible entre plus de gens et d’activités, soit parce qu’il y aura une vraie contrainte sur l’approvisionnement énergétique. On est en train de refermer la parenthèse, qui s’appelle l’holocène, dans laquelle on a vécu un fleurissement incroyable. On ne vivra pas de la même manière dans les siècles à venir. |