8 VENDREDI 17 SEPTEMBRE 2021 20 MINUTES AVEC Le contexte  : Dans La Fracture (éd. Les Arènes), paru jeudi, Frédéric Dabi et Stewart Chau, responsable des études politiques de l’institut Viavoice, dressent un portrait des 18-30 ans, grâce à l’analyse de cinq grandes enquêtes sur la jeunesse réalisées par l’Ifop depuis les années 1950. Propos recueillis par Delphine Bancaud Ils incarnent « le monde d’après », mais qui sont-ils vraiment ? Pour 20 Minutes, Frédéric Dabi, directeur général opinion de l’Ifop, qui vient de sortir le livre La Fracture (lire « le contexte ») , donne son analyse sur les 18-30 ans, qui seront l’objet de beaucoup d’attentions pendant la présidentielle. Vous dépeignez une jeunesse multiple dans votre livre. Quels sont les points de fracture entre ces différentes jeunesses ? L’idée de départ de ce livre est de caractériser cette jeunesse. Comme elle est assez insaisissable, on a tendance à lui accoler des étiquettes  : génération Z, climat, Greta Thunberg, sacrifiée… C’est assez réducteur, car il existe des clivages entre les jeunes, notamment liés à leur âge. Les 18-24 ans sont plus optimistes  : ils vivent chez leurs parents ou à proximité, sont souvent étudiants, croient en eux, ont vite tourné la page Covid-19. Les 24-30 ans sont plus inquiets pour leur avenir, car il s’agit de la génération de l’insertion, qui, dans un contexte de crise, a des difficultés à commencer sa vie professionnelle. Ces clivages se ressentent dans leur envie de voter. Il existe aussi une fracture de genre. Les jeunes femmes sont, par exemple, plus en pointe sur la lutte contre les discriminations. Frédéric Dabi dans les locaux de 20 Minutes, mercredi à Paris. O. Juszczak/20 Minutes Frédéric Dabi directeur général opinion de l’Ifop « La crise du Covid-19 a été le catalyseur d’une génération qui se croit maudite » Une majorité de jeunes déclarent vivre dans une époque malchanceuse. Est-ce imputable seulement à la crise du Covid-19 ? En vingt ans, on est passé de 15 à 30% de jeunes estimant qu’ils vivent dans une époque de malchance absolue. Ils éprouvent un sentiment de vulnérabilité face à l’enchaînement des crises  : attentats, choc climatique… La crise du Covid-19 a été le catalyseur d’une génération qui se croit maudite. Les jeunes ont l’impression d’avoir été sacrifiés au profit des plus âgés, de devoir payer la dette future. Par ailleurs, ils éprouvent une défiance à l’égard de l’État, des partis, des syndicats. Et ils estiment que la société produit des inégalités de manière systémique. D ru Paradoxalement, ce regard négatif sur la société s’accompagne d’un optimisme face à leur propre avenir. Comment l’expliquer ? L’enchaînement des crises a montré leur capacité à encaisser les chocs. Ils éprouvent un optimisme individuel très fort, et le Covid-19 n’a pas entamé leur soif de vivre, leur désir de découvrir le monde, de faire des expériences. Leur défiance à l’égard du pouvoir s’est nourrie en partie de l’impression d’une inefficacité des précédents gouvernements. Que leur reprochent-ils ? Ils ont des attentes fortes vis-à-vis du personnel politique  : l’honnêteté, la « Les jeunes ont des attentes fortes vis-à-vis du personnel politique  : l’honnêteté, la fidélité au programme, la cohérence. Quand ces qualités font défaut, ils ressentent une forme de trahison. » fidélité au programme, la cohérence. Quand ces qualités font défaut, ils ressentent une forme de trahison. La confiance des jeunes a aussi été amoindrie par l’incapacité des gouvernements à transformer leur quotidien. C’est une crise du résultat qui leur fait penser que la solution ne viendra pas de la sphère politique. D’où leur sentiment de la vanité du vote. L’abstention massive des jeunes en 2022 est-elle inéluctable ? Il n’y a pas de fatalité de l’abstention de la jeunesse. À certaines élections présidentielles, ils ont voté autant que le reste de la population  : par exemple en 1981, 1995, 2007, qui étaient des élections de changement. Aujourd’hui, on observe un cycle abstentionniste jamais vu chez les jeunes, avec 70% aux municipales et 84% aux régionales. La présidentielle s’inscrit dans un continuum, et je crains que nous soyons sur le modèle de 2012 et 2017. Mais il existe une sorte de magie de la présidentielle, et les candidats n’ont jamais été autant en propositions vis-à-vis des jeunes, qu’ils considèrent comme des relais d’opinion. On peut aussi imaginer qu’une campagne qui sera très réseaux sociaux, très médias, intéresse les jeunes. Et si les candidats à la présidentielle investissaient beaucoup la thématique de l’écologie et du traitement des inégalités, cela pourrait-il inciter les jeunes à voter ? Les jeunes n’attendent pas de jeunisme, de sollicitude paternaliste, des vidéos TikTok. Ils attendent un projet, une vision, des résultats. Ils sont avides de solutions. Si la campagne tourne autour de ces sujets, peut-être aura-t-on de bonnes surprises.