6 Essai Kill Your Id(e)ol(ogie)s 4 Olivier Neveux, Contre le théâtre politique, 2019, Paris, La fabrique. et de spectateur, par le système en question. L’économie pénètre toutes les sphères de la praxis, produisant un sujet sommé d’être toujours plus performant et compétitif. Celui-ci est entraîné dans une spirale d’auto-optimisation qu’il croît désirer mais exécute en réalité par défaut, faute de structures externes à même de garantir l’arbitrage. Le glissement de la forme au sujet reflète la pression d’apparaître au niveau de l’artiste : celui-ci, pour émerger, pour être visible (et, encore une fois, parce que les structures faisant opposition au jeu de la concurrence se délitent), est sommé d’affirmer une position de sujet cohérente, identifiable. L’ambiguïté – celle de l’œuvre, celle des différentes parties de la production d’un même artiste —, on le comprend, est un obstacle. Un échange entre Chris Kraus et Ariana Reines publié dans Texte zur Kunst évoquait à ce sujet une rentabilisation des affects. Cette dernière déclarait : « en un certain sens, ce que vendent les artistes est en quelque sorte les itérations d’une certaine position subjective qu’ils représentent. À partir de là, ils peuvent faire beaucoup de versions de ce qu’ils produisent […]. Et donc, d’une certaine manière, tout se passe comme si vous achetiez une partie de l’état de conscience qu’ils représentent 4. » De l’autre côté, au niveau de la réception, Bret Easton Ellis identifie chez l’acteur hollywoodien, toujours mesuré, modéré, agréable et pour ainsi dire « climatisé », les prémisses de la condition par défaut des individus du régime néolibéral. Plus que d’un moyen terme, le cas de l’art contemporain et des œuvres à sujet politique relève davantage d’une entente sur les « bonnes » valeurs — ce que les anglophones qualifieraient de woke. La part conflictuelle de la politique, et de l’humain, a été escamotée. Le fait politique brut s’est transformé en la politique établie, et l’on vient alors devant les œuvres acquiescer en masse aux paradigmes dominants de son groupe plutôt que de remettre à plat ses systèmes de pensée – quitte à en sortir avec des convictions refondées, renforcées. Ces réflexes font le lit des manipulations de masse auxquelles les individus déliés néolibéraux ne sont pas moins exposés, précisément parce qu’ils dépolitisent et ne pratiquent la politique qu’en tant que signe extérieur d’allégeance au consensus. Où est alors passé l’individu doté d’une conscience critique, cet individu qui ne préexisterait pas à l’œuvre mais serait au contraire façonné par elle, par l’espace-temps spécifique qu’exige son appréhension et par la reconfiguration |