> 42 ENSEMBLE NOTRE HISTOIRE Le 10 février 1963, Maurice Herzog, ministre de la Jeunesse et des Sports du général de Gaulle, s’élance skis aux pieds du pic Blanc, le troisième sommet le plus haut du massif des Grandes-Rousses, et dévale l’itinéraire hors piste de Sarenne. Deux heures plus tard, il est de retour à la gare de départ du téléphérique où l’attendent le préfet de l’Isère, Maurice Doublet, et un parterre de personnalités. Le vainqueur de l’Annapurna est ravi. La remontée mécanique qu’il est venu inaugurer va non seulement permettre l’exploitation du glacier de Sarenne pour le ski d’été, mais surtout de positionner une nouvelle station française dans le cercle très fermé des domaines skiables de plus de 3 000 mètres d’altitude ! Pourtant, à l’origine, la partie était loin d’être gagnée ! Cinq ans auparavant, des difficultés financières contraignent en effet le propriétaire du premier et du deuxième tronçon du téléphérique à fermer boutique. Inquiets pour leur avenir, commerçants et hôteliers se mobilisent et créent la Société d’aménagement touristique de l’Alped’Huez, la Sata, pour racheter les installations. Audacieux, ils décident, dans la foulée, de prolonger le téléphérique jusqu’au pic Blanc en créant un troisième tronçon. « En offrant aux touristes un accès à ce sommet, dont le panorama à 360 degrés couvre un dixième du territoire français, ainsi que la possibilité de skier sur le glacier, ils sont assurés d’une belle saison d’été », > ISÈRE MAG I JANVIER/FÉVRIER 2019 I #19 « Vous devez créer un tunnel… » L’ALPE-D’HUEZ ET SON TUNNEL DE LÉGENDE En février 1963, l’ouverture du troisième tronçon du téléphérique des Grandes-Rousses fait du pic Blanc le plus haut sommet équipé de France après celui de l’aiguille du Midi, à Chamonix. Il propulse surtout l’Alpe-d’Huez dans le club très fermé des stations de ski d’été. explique Jacques Bory, hôtelier et ancien président de la Sata. Mis en service au terme de trois ans de travaux titanesques, le téléphérique achemine 35 clients à 3 326 mètres d’altitude, à la vitesse de 10 mètres par seconde. UNE IDÉE RÉVOLUTIONNAIRE Le succès est immédiat. Les skieurs viennent de loin pour descendre les 16 kilomètres de Sarenne. Certains trouvent néanmoins la remontée via le village d’Huez dissuasive, et les plus audacieux empruntent l’arête de la mine de l’Herpie pour rejoindre directement la station. Pour sécuriser le passage, la Sata l’équipe alors de pieux métalliques ancrés dans la roche pourvus d’une main courante. Mais la nécessité d’une liaison entre les glaciers de Sarenne et des Grandes-Rousses s’impose rapidement. Une figure locale, l’hôtelier Georges Rajon, émet alors une idée révolutionnaire. Pourquoi ne pas creuser un tunnel de 200 mètres de long dans la montagne, à 3 000 mètres d’altitude, qui rejoindrait les deux faces ? « Impossible, farfelu… un tel tunnel provoquerait un appel d’air qui projetterait les skieurs dans le vide », avancent ses détracteurs qui prônent l’aménagement d’une route sur les crêtes dans le secteur de l’Herpie. La polémique enfle. L’arbitrage, rendu par Émile Allais, champion de ski et pionnier reconnu en France du balisage et de l’entretien des pistes, est sans appel : « Ce sera une première, mais Sortie du tunnel Piste du tunnel vous devez créer un tunnel ! » Reste à en déterminer la pente. Une fois encore, Georges Rajon apporte la solution. « Il a chaussé ses skis sur la place du Dôme, puis il a glissé d’un bout à l’autre. Il en a conclu que c’était la pente idéale. Un rapide calcul lui a permis de l’évaluer à 3% », ajoute Jacques Bory. LE GRAND FRISSON Le percement du tunnel, confié à l’entreprise Vigne d’Oris-en-Rattier, débute le 16 juillet 1964, en amont, sur le glacier de Sarenne. L’évacuation des déblais par wagonnets sur rail s’avère plus longue que prévu et, pour respecter les délais, l’entrepreneur ouvre un deuxième front, en aval du tunnel. Les deux équipes font la jonction fin novembre 1964. À temps pour l’ouverture de la saison d’hiver et pour la plus grande joie des skieurs qui, à la sortie du boyau, s’offrent le grand frisson en découvrant le vide sous leurs spatules. Le 5 juillet suivant, les amateurs de glisse estivale se bousculent devant les deux fils neige du glacier de Sarenne. L’Alpe, dont la réputation n’est plus à faire l’hiver, rejoint Val-d’Isère et Chamonix dans le club fermé des stations de ski d’été. Par Marion Frison d’infos sur www.iseremag.fr Pic Blanc |