ledossier d’Isère Magazine ALZHEIMER s La dure épreuve des aidants La maladie de leur parent ou conjoint a bousculé tous leurs repères. Ils racontent. » Témoignage « Ce n’est plus l’homme que j’ai épousé » Eugénia, 74 ans, et Séraphin, 78 ans, habitent à Bourgoin-Jallieu. Il y a quatre ans, Séraphin a été diagnostiqué malade d’Alzheimer. Depuis, ils affrontent ensemble cette maladie, qui a bouleversé leur vie. M. Giraud « T out a commencé par des changements d’habitudes : ma mère n’avait plus envie d’inviter la famille chez elle, ses repas étaient simplifiés, son jardin moins bien entretenu… Des occupations qu’elle aimait pourtant. Puis, elle a commencé à mettre des petits papiers de partout pour se souvenir des choses. Quand on lui posait une question, ses réponses devenaient imprécises ou décalées. Alors on l’a emmenée chez un neurologue. Le diagnostic a été comme un tsunami dans nos vies ! Tout d’un coup, on se retrouve sans repères, avec plein de questions et la peur d’une maladie qu’on connaît mal. Il a fallu s’organiser pour ses repas, sa toilette, son ménage… Tous ces petits gestes de la vie quotidienne, qui deviennent compliqués. Grâce aux aides à domicile et à la présence de mon frère et ma belle-sœur, qui habitaient et travaillaient juste à côté, ma mère a pu rester chez elle pendant cinq ans. Moi, j’allais lui faire sa toilette le dimanche. C’est très dur pour un fils de devoir s’occuper de sa mère comme de son enfant. Et aider un malade d’Alzheimer, ce n’est pas inné. Personnellement, j’ai beaucoup appris grâce à un groupe de parole, avec d’autres aidants. Ce qui est difficile avec cette maladie, c’est qu’il n’y a pas de progrès possible. Quand j’allais la voir chez elle et que je sortais de la pièce un instant, quand je revenais, elle me disait « bonjour » et avait oublié tout ce que je venais de lui raconter. Chez elle, les derniers temps, elle était très angoissée d’être seule et se levait la nuit. Nous étions très inquiets et ne pouvions pas la surveiller 24 heures sur 24, alors nous avons décidé de la faire entrer dans une structure adaptée. C’était terrible, j’avais l’impression d’abandonner un enfant ! Mais elle s’y sent en sécurité. Aujourd’hui, elle n’est plus capable de dire mon prénom. Parfois, elle me reconnaît, parfois non. Mais nous arrivons encore à partager des petits moments de vie. On regarde des photos ensemble, je lui parle de sa vie passée et lui raconte la mienne… Elle m’écoute, réagit par moment. Il faut se contenter de peu. Mais pour moi, l’essentiel c’est qu’elle sente qu’on est toujours là. » « de « M on mari s’occupait des papiers, du jardin, prenait les initiatives… Il avait un caractère latin, un peu macho, et décidait pratiquement de tout. Aujourd’hui, ce n’est plus l’homme que j’ai épousé », raconte Eugénia, les larmes aux yeux. À côté, Séraphin écoute. À certains moments, il semble perdu dans ses pensées. À d’autres moments, lucide, il participe à la conversation. Il a du mal à parler. Sa voix est enrouée, il cherche ses mots, marque des pauses entre chaque phrase et parfois perd son idée avant d’avoir fini de s’exprimer. « Je suis démoralisé car je ne peux plus rien faire », dit-il. Chaque jour, Eugénia doit l’aider à s’habiller, se laver… « Tout est devenu compliqué pour lui : enfiler ses chaussures, mettre du dentifrice sur la brosse à dent… Je dois l’assister en permanence. Je joue le rôle d’une infirmière, d’une mère, d’une aide à domicile, mais pas celui d’une épouse. C’est fatiguant et sur le plan affectif, c’est très dur. » Pourtant, Eugénia reste courageuse et dynamique : « Je le booste, je le pousse à faire les choses. Cela le maintient. » Deux fois par semaine, elle l’emmène dans un accueil de jour. « Au début, il ne voulait pas y aller. Aujourd’hui, c’est l’endroit où il se sent le mieux. » Et Séraphin ajoute : « Je me suis adapté, maintenant ça me plaît. Je suis au contact des malades et je participe. » « Parfois, il croit faire partie du personnel médical, commente Eugénia, mais les activités et le contact au groupe lui font du bien. » Ancienne éducatrice spécialisée pour adultes handicapés, Eugénia est mieux armée que la plupart des aidants face à la maladie. « Malgré tout, j’ai du mal à accepter ce que mon mari est devenu. Parfois, je m’énerve ou lui demande des choses qu’il n’est plus capable de faire, puis je culpabilise. » Pour tenir le coup, Eugénia s’est entourée d’un réseau d’aides et de soins : auxiliaire de vie, aide-ménagère, groupe d’aide aux aidants, infirmière, kiné… « Au début, je croyais pouvoir m’en sortir seule et je voulais protéger notre intimité. Mais leur soutien est indispensable pour lui comme pour moi. » >24 Isère Magazine-février-mars 2013 |