[22] Côtes d'Armor n°117 février 2013
[22] Côtes d'Armor n°117 février 2013
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°117 de février 2013

  • Périodicité : mensuel

  • Editeur : Conseil Général de Côtes-d'Armor

  • Format : (230 x 300) mm

  • Nombre de pages : 40

  • Taille du fichier PDF : 3 Mo

  • Dans ce numéro : sécurité routière, la prévention sur tous les fronts.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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30 Patrimoine Côtes d’Armor M A G A Z I N E Nicole van de Kerchove (1945 – 2008) En quête d’ailleurs Le 21 février 2008, Nicole van de Kerchove s’effondre lors d’un treck sur l’île de Navarino en Patagonie, « sa » Patagonie. Elle ne se relèvera pas. La célèbre navigatrice, Pontrivienne d’adoption, musicienne et auteure, s’éteint dans ce bout du monde qui la fascinait tant. Cette femme libre laisse dans le sillage de sa plume, et dans la mémoire de ses amis, l’image d’une aventurière d’exception. N icole van de Kerchove s’installe en 1979 à Pontrieux, où elle a acheté le vieux manoir de Belle-Fontaine. Dans le petit port mouille l’Esquilo, son fidèle voilier. « Dans ma vie où alternent la mer et la terre, j’ai fait une grande pause dans ce doux tas de pierres, le temps de voir grandir mes enfants dans les bois, et se faire des copains, puis grandir en même temps que les arbres que nous y avons plantés ». Nicole s’est déjà fait un nom, grâce à son premier livre, Sept fois le tour du soleil, paru en 1977, un best-seller relatant ses grandes traversées, sans cesse réédité. « Pour autant, je crois qu’elle était au fond d’elle-même une terrienne, confie son ami, le chanteur Louis Capart. Elle me disait souvent qu’elle m’enviait d’avoir de vraies racines. Elle voulait à son tour enraciner sa famille,’poser’un peu sa vie ». Vite adoptée par les Pontriviens, lorsqu’il s’agit de « retaper » le manoir, les paires de bras amicales ne manquent pas. Puis les fidèles amis rencontrés aux quatre coins du monde viennent à l’occasion à Belle-Fontaine. Là, entourée de ses enfants, de ses chiens et de ses chats, elle donne des cours de piano et, chaque été, embarque tout son monde sur l’Esquilo pour louer la propriété à des estivants. Nicole est une femme tout en contrastes. Musicienne virtuose, elle confie un jour à un journaliste, MDV - Éditions « Je souris à ma vie » Nicole dans la mâture de l’Esquilo - L’équilibre, elle le maîtrisait, entre la mer et la musique. « La mer, c’est chez moi... mais la musique m’est vitale, certainement plus que la mer ». Il en est de même pour la solitude, dont elle a tant souffert dans sa prime jeunesse. Elle aime être entourée, mais ne manque pas une occasion de s’embarquer seule pour de longues traversées. « La solitude en mer est quelque chose de très fort. Une solitude peuplée des images des enfants, des amis qu’on a laissés… on les sent très proches, on les a avec soi… ». Enfant, elle grandit dans le haras normand de ses parents, tous deux concertistes issus de la noblesse belge, qui décident qu’elle sera musicienne. Elle partage ses journées entre le piano et les devoirs à rendre au précepteur qu’elle va voir - à cheval - une fois par semaine. « Chaque jour, je commence par les gammes, les arpèges et un tas d’exercices techniques... Nous étions sur une autre planète. L’immobilité insoutenable du temps, la rigidité des habitudes ont remonté, année après année, le gros ressort qui m’a propulsée dans la vie avec une curiosité et un immense appétit de découverte, d’aller faire’autre chose’ ». Lauréate de nombreux concours internationaux de piano, elle s’évade dans la lecture des récits de navigateurs légendaires, notamment ceux de Joshua Slocum (*). À 15 ans, souffrant d’anémie, les médecins lui prescrivent l’air de la mer. Ses parents l’envoient alors dans la maison de vacances familiale, à Westende en Belgique, face à la Mer du Nord. Elle y achète un petit voilier qu’elle apprend à manœuvrer avec un jeune marin, Herman, qui l’embarquera comme équipière en 1965, pour une croisière en mer Baltique. À 22 ans, elle fait la rencontre qui scellera définitivement sa soif d’horizons lointains : Bernard Moitessier (lire ci-contre). Il devient un peu son « père spirituel » et lui présente Loïk Fougeron, autre grand skipper, qui l’embarque sillonner la mer du Nord. Elle embarque pour quatre mois... et revient sept ans plus tard En 1968, elle fait construire l’Esquilo, s’inspirant du « Joshua », le ketch de Moitessier. C’est à bord de ce petit côtre en acier de 9 m qu’elle part alors pour un voyage de quatre mois aux Antilles... pour finalement ne regagner l’Europe que sept ans plus tard, avec Don, un américain épousé à Tahiti, où est née leur fille Sabrina. Kévin, lui, naîtra un an après leur retour. Sept ans de navigation qu’elle relate dans Sept fois le tour du soleil. Quelques mois plus tard, le couple se déchire et Nicole s’installe à Pontrieux. Mais elle ne tourne pas le dos à la mer. Elle repart Éric Le Jouan « Les marins ne meurent pas, Sur le perron de son manoir de Belle-Fontaine, à Pontrieux. en 1983 avec Sabrina et Kevin sur un ketch de 14m. Deux ans de navigation qui s’achèveront à Rio, où la petite Kim voit le jour en 1985. Retour à Pontrieux où elle se lie d’amitié avec Martine et Bernard Illien, lui aussi grand coureur d’océans. « Ma fille Typhaine avait le même âge que Sabrina, je passais chaque matin prendre Sabrina pour les déposer au collège, se souvient Martine. On prenait le temps de parler autour d’un café, pas de ses traversées, mais des choses de la vie. Je me souviens lui avoir dit un jour : ‘Imagine un peu la vie d’une mère célibataire avec trois gamins, qui vit en banlieue et travaille à Paris, avec deux heures de trajet par jour et les enfants à
Patrimoine > n°117 | février 2013 31 Avec son fidèle Esquilo, prisonnier de la mer gelée, lors d'une de ses expéditions en Patagonie. MDV - Éditions Louis Capart Sa bibliographie Sept fois le tour du soleil (1977, éditions Babouji-Les Maîtres du Vent) Embarquez vos enfants (1988, éditions Pen-Duick) L’Esquilo en Patagonie (2004, éditions Babouji-Les Maîtres du Vent) Concertiste de talent, Nicole accompagne le chanteur Louis Capart lors d'une tournée européenne. ils se retrouvent derrière l’horizon » élever avec un Smic... elle mérite autant que toi le titre ‘d’aventurière’. Elle a simplement acquiescé de la tête ». Belle-Fontaine montre fière allure. Nicole y aménagera des gîtes dans les années 1990, avec l’aide des ami(e)s, Martine et Bernard en tête, mais aussi Éric Le Jouan, secrétaire de l’office de tourisme. « Elle voulait que Belle-Fontaine vive à tout instant, confie Éric. Quand elle larguait les amarres, elle nous en confiait les clés et demandait même à notre hôtesse, Anne Chalonny, de s’y installer pour s’occuper des animaux et accueillir les locataires. Elle me parlait souvent de la Patagonie, concluant toujours par un ‘Il faut que j’y retourne’ ». La Patagonie, nous y voilà. Nicole y est déjà allée plusieurs fois et en est tombée littéralement amoureuse. À la pointe Sud du continent américain, aux portes de l’Antarctique, cet entrelacs d’îles volcaniques, de canaux, de détroits, de glaciers, peuplé de phoques, d’otaries et de manchots, et ce redoutable Cap-Horn, la fascinent : « La Patagonie agrippe le cœur, on n’en revient jamais tout à fait... ‘Les souvenirs ne meurent que lorsqu’ils n’ont plus de futur’, c’est ce que je me dis en passant devant la grondante chute d’eau de Romanche, ce glacier grandiose qui me met les larmes aux yeux ». En 2001, elle y emmène sa fille Kim, alors âgée de 14 ans, toujours sur le vieil Esquilo, entièrement remis à neuf. « Pas très raisonnable », lui disent certains proches. Kim s’acclimate vite à la vie à bord, assure les quarts et découvre avec un immense bonheur cet « autre monde » que Nicole voulait à tout prix lui offrir en cadeau. On pourrait encore écrire et écrire sur Nicole : sa traversée de l’Atlantique sur un frêle esquif sans mât, tracté par des cerfs-volants, pour prouver qu’un bateau en détresse pouvait avancer avec cette solution de fortune ; ses multiples convoyages de bateaux avec Kim et Kévin (Vietnam, Java, etc.) ; sa mission humanitaire de deux ans en Haïti avec Marins sans frontières ; sa tournée à travers l’Europe comme pianiste de Louis Capart ; sa victoire sur le cancer... Il y a tant à dire sur cette femme libre et si attachante. Nous lui laissons le soin de conclure : « J’aime regarder le sillage, trace tangible de notre progression, de notre existence. L’eau dérangée pour un instant. Quelques sillons têtus qui s’effacent très vite, dans l’oubli léger de l’univers. Je souris à ma vie et à ce sillage. Vous vous ressemblez ». (Joshua Slocum) Bernard Bossard (*) Le Canadien Joshua Slocum (1844 – 1909), fut le premier à boucler un tour du monde en solitaire à la voile. MDV - Éditions Autre chose, un récit témoignage sur plus de 40 ans de navigation, dont elle acheva le manuscrit quelques mois avant de disparaître (2004, éditions Babouji-Les Maîtres du Vent). L’hommage de Thalassa Le 22 mars 2008, Thalassa rend hommage à Nicole van de Kerchove à travers un portrait réalisé par la journaliste Stéphanie Brébant. À voir sur le site du romancier Patrice Lanoy : lecomplotdespapillons.blogspot.fr/2008/02/nicole.html Légendaire Moitessier Nicole vivra avec Bernard Moitessier une amitié fusionnelle. Elle sera à son chevet, avec son ami Louis Capart, jusqu’au dernier souffle du marin, en 1994. Moitessier reste l’un des derniers vrais aventuriers du XX e siècle. En 1968, il passe le Cap-Horn très largement en tête de la première course autour du monde en solitaire sans escale. À Plymouth, il est déjà attendu en vainqueur. C’est alors qu’à l’aide d’un lance-pierre (il a refusé d’embarquer une radio), il parvient à lancer sur le pont d’un cargo ce message : « Ne m’attendez pas, je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme... ». Une quête d’infini, un voyage spirituel, d’où naîtra un livre culte, La longue route, (Arthaud éditeur). Remerciements À Louis Capart, Martine et Bernard Illien, Éric Le Jouan et Christian Mouquet, des éditions Babouji-Les Maîtres du vent, pour leur précieuse contribution.



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