30 Patrimoine Côtes d’Armor M A G A Z I N E Jeanne Malivel et les Seiz Breur (1920-1939) Pour le renouveau des arts décoratifs Sa vie, trop courte, n’a pas empêché Jeanne Malivel, la Loudéacienne (1895-1926), de marquer les esprits. Peintre, décoratrice, graveuse, elle créa, avec René-Yves Creston, sa compagne Suzanne Candré, et Georges Robin, Ar Seiz Breur (Les sept frères), un mouvement artistique qui proposait le renouveau d’un certain art vieillissant, sans toutefois renier ses racines. Née dans une famille qui encourage sa vocation artistique, Jeanne part à Rennes puis à Paris, où elle est reçue au concours de l’école des Beaux-Arts ; elle fait des rencontres importantes, notamment avec le peintre Maurice Denis (Côtes d'Armor de juin 2009, rubrique Patrimoine) qui aimerait bien qu’elle donne des cours de gravure dans son atelier d’art sacré. Jeanne est appréciée ; son caractère enjoué, son enthousiasme, son envie d’en découdre, dirait-on aujourd’hui, font qu’elle va vite rassembler autour d’elle, avec ses trois complices, des personnalités issues des arts décoratifs, une soixantaine d’architectes, de plasticiens, de sculpteurs, d’ébénistes, la plupart originaires de Bretagne. Le groupe va prendre un nom breton : Ar Seiz Breur, Les sept frères. Un choix qui n’est pas anodin. Au départ, un conte gallo collecté par Jeanne Malivel où il est question de renaissance. Autre Du folklore à l’ethnologie explication plausible : dans ces années 1920, les « années folles », de petites associations de sept personnes fourmillent, ce chiffre évoquant alors la perfection. Les écrits, les chansons, les tableaux, les dépliants touristiques de la fin du XIX e siècle montrent un talent certain chez les Bretons mais, crêpes, sabots et costumes finissent par donner une image caricaturale de la Bretagne ; des clichés stéréotypés mettent en avant un pittoresque un peu suranné et empreint de religion. C’est en réaction à cette tendance passéiste, cette « bretonnerie », comme la nomme Denise Delouche, que les jeunes artistes bouillonnants d’Ar Seiz Breur s’insurgent. En 1923, Jeanne Malivel écrivait à Gaston Sébilleau : « Nous partageons la même horreur de la biniouserie et les sempiternels fuseaux ». Un message on ne peut plus clair. S’ouvrir à la modernité Dès 1923, Jeanne Malivel, toujours sur le qui-vive, a une idée en tête, entraîner ses amis dans l’Exposition internationale des arts décoratifs industriels et modernes qui regroupe les pavillons des régions de France et doit se tenir à Paris en 1925. Si certains veulent exclusivement y défendre l’art breton, Jeanne Malivel et les Creston ont une conception très ouverte de leur participation à cette manifestation, cherchant à se démarquer de toute convention. Ils ont à cœur de former le goût du public, en proposant des œuvres nouvelles qui ne soient pas des copies du passé, mais l’alliance de la modernité et de la tradition. Ils y voient l’occasion d’adapter l’artisanat breton menacé de disparaître. Lors de cette exposition, les Seiz Breur montreront leurs savoir-faire, tant en architecture, qu’en fabrication de meubles, peinture, céramique, faïence, verrerie… et la presse les encensera. Ils tireront de cette expérience une réelle notoriété. En parallèle, René-Yves Creston reprend le flambeau après Jeanne Malivel. Ar Seiz Breur, initiateur du red Jeanne s’intéressait à ce qui se passait en Grande- Bretagne et en Allemagne dans le domaine de l’art. Pour Georges Robin, celle qui engagea ses propres deniers dans l’aventure de l’exposition de 1925 « restera la première libératrice de l’art national breton ». En 2000, Daniel Le Couédic, architecte, historien et professeur à l’Université de Brest, a signé avec Jean-Yves Veillard, un ouvrage auquel ont participé des universitaires comme Denise Delouche, Philippe Théallet, Marie-Claire Mussat, Yann-Ber Piriou et Michel Denis et les conservateurs des musées bretons. Dans ce livre, Ar Seiz Breur, la création bretonne entre tradition et modernité, Daniel Le Couédic écrit, « Dès l’aube du XX e siècle, des intellectuels proclamèrent qu’un renouveau artistique et artisanal visant à transmuter la vie ordinaire serait un formidable levier pour relever la Bretagne alors bien défaillante. Le pari fut tenu grâce à l’opportunisme d’une génération inspirée qui, d’une faiblesse, sut faire une force. Nombre des créateurs d’Ar Seiz Breur furent d’authentiques ethnographes… Parmi eux, René-Yves Creston exhortait à des conceptions furieusement modernes pour réenchanter la Bretagne ! » Jeanne Malivel veut préserver les diverses expres- |