[22] Côtes d'Armor n°114 novembre 2012
[22] Côtes d'Armor n°114 novembre 2012
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°114 de novembre 2012

  • Périodicité : mensuel

  • Editeur : Conseil Général de Côtes-d'Armor

  • Format : (230 x 300) mm

  • Nombre de pages : 40

  • Taille du fichier PDF : 3,1 Mo

  • Dans ce numéro : profession agriculteur.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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30 Patrimoine Côtes d’Armor M A G A Z I N E Jeanne Malivel et les Seiz Breur (1920-1939) Pour le renouveau des arts décoratifs Sa vie, trop courte, n’a pas empêché Jeanne Malivel, la Loudéacienne (1895-1926), de marquer les esprits. Peintre, décoratrice, graveuse, elle créa, avec René-Yves Creston, sa compagne Suzanne Candré, et Georges Robin, Ar Seiz Breur (Les sept frères), un mouvement artistique qui proposait le renouveau d’un certain art vieillissant, sans toutefois renier ses racines. Née dans une famille qui encourage sa vocation artistique, Jeanne part à Rennes puis à Paris, où elle est reçue au concours de l’école des Beaux-Arts ; elle fait des rencontres importantes, notamment avec le peintre Maurice Denis (Côtes d'Armor de juin 2009, rubrique Patrimoine) qui aimerait bien qu’elle donne des cours de gravure dans son atelier d’art sacré. Jeanne est appréciée ; son caractère enjoué, son enthousiasme, son envie d’en découdre, dirait-on aujourd’hui, font qu’elle va vite rassembler autour d’elle, avec ses trois complices, des personnalités issues des arts décoratifs, une soixantaine d’architectes, de plasticiens, de sculpteurs, d’ébénistes, la plupart originaires de Bretagne. Le groupe va prendre un nom breton : Ar Seiz Breur, Les sept frères. Un choix qui n’est pas anodin. Au départ, un conte gallo collecté par Jeanne Malivel où il est question de renaissance. Autre Du folklore à l’ethnologie explication plausible : dans ces années 1920, les « années folles », de petites associations de sept personnes fourmillent, ce chiffre évoquant alors la perfection. Les écrits, les chansons, les tableaux, les dépliants touristiques de la fin du XIX e siècle montrent un talent certain chez les Bretons mais, crêpes, sabots et costumes finissent par donner une image caricaturale de la Bretagne ; des clichés stéréotypés mettent en avant un pittoresque un peu suranné et empreint de religion. C’est en réaction à cette tendance passéiste, cette « bretonnerie », comme la nomme Denise Delouche, que les jeunes artistes bouillonnants d’Ar Seiz Breur s’insurgent. En 1923, Jeanne Malivel écrivait à Gaston Sébilleau : « Nous partageons la même horreur de la biniouserie et les sempiternels fuseaux ». Un message on ne peut plus clair. S’ouvrir à la modernité Dès 1923, Jeanne Malivel, toujours sur le qui-vive, a une idée en tête, entraîner ses amis dans l’Exposition internationale des arts décoratifs industriels et modernes qui regroupe les pavillons des régions de France et doit se tenir à Paris en 1925. Si certains veulent exclusivement y défendre l’art breton, Jeanne Malivel et les Creston ont une conception très ouverte de leur participation à cette manifestation, cherchant à se démarquer de toute convention. Ils ont à cœur de former le goût du public, en proposant des œuvres nouvelles qui ne soient pas des copies du passé, mais l’alliance de la modernité et de la tradition. Ils y voient l’occasion d’adapter l’artisanat breton menacé de disparaître. Lors de cette exposition, les Seiz Breur montreront leurs savoir-faire, tant en architecture, qu’en fabrication de meubles, peinture, céramique, faïence, verrerie… et la presse les encensera. Ils tireront de cette expérience une réelle notoriété. En parallèle, René-Yves Creston reprend le flambeau après Jeanne Malivel. Ar Seiz Breur, initiateur du red Jeanne s’intéressait à ce qui se passait en Grande- Bretagne et en Allemagne dans le domaine de l’art. Pour Georges Robin, celle qui engagea ses propres deniers dans l’aventure de l’exposition de 1925 « restera la première libératrice de l’art national breton ». En 2000, Daniel Le Couédic, architecte, historien et professeur à l’Université de Brest, a signé avec Jean-Yves Veillard, un ouvrage auquel ont participé des universitaires comme Denise Delouche, Philippe Théallet, Marie-Claire Mussat, Yann-Ber Piriou et Michel Denis et les conservateurs des musées bretons. Dans ce livre, Ar Seiz Breur, la création bretonne entre tradition et modernité, Daniel Le Couédic écrit, « Dès l’aube du XX e siècle, des intellectuels proclamèrent qu’un renouveau artistique et artisanal visant à transmuter la vie ordinaire serait un formidable levier pour relever la Bretagne alors bien défaillante. Le pari fut tenu grâce à l’opportunisme d’une génération inspirée qui, d’une faiblesse, sut faire une force. Nombre des créateurs d’Ar Seiz Breur furent d’authentiques ethnographes… Parmi eux, René-Yves Creston exhortait à des conceptions furieusement modernes pour réenchanter la Bretagne ! » Jeanne Malivel veut préserver les diverses expres-
Patrimoine > n°114 | novembre 2012 31 Jeanne Malivel pose au studio Binet. ressement artistique breton Le vieux poirier, un bois gravé de Jeanne Malivel. sions du patrimoine humain de son pays et est soucieuse de sauver la situation économique difficile de cette Bretagne centrale d’où elle est originaire. On sent poindre, à travers le portrait que Denise Delouche fait d’elle, des idées presque teintées de féminisme ; en effet, elle engageait les intellectuelles « L’osté », stand des Seiz Breur à l'exposition de 1925. L'esquisse est de René-Yves Creston. bretonnes à étudier la Bretagne, sa langue, son histoire, sa civilisation pour transmettre aux futures générations la connaissance de la patrie bretonne. Le mouvement Seiz Breur touche aussi à d’autres arts appliqués comme le textile et la céramique. Quoi de plus naturel que de toucher les populations à travers leur quotidien ? Et relancer l’activité des artisans bretons, brodeurs, tailleurs, dentellières, en leur donnant du travail, avait en arrière-plan l’objectif de freiner l’exode. Passée l’exposition parisienne de 1925, Jeanne épouse un fonctionnaire des Douanes. Contre toute attente, elle prend ses distances avec le groupe qui comprend mal ce revirement et repart vivre à Loudéac. De surcroît, elle ne jouit pas d’une bonne santé. Ses allers et retours, plusieurs années de suite, entre Paris, Rennes et Loudéac, sa force de travail et de création et une méchante paratyphoïde vont avoir raison d’elle en 1926. Après son décès prématuré, elle n’a que 31 ans, René-Yves Creston reprend le flambeau, réussissant à sortir la revue Kornog. Et bientôt de nouvelles personnes rejoignent le groupe comme l’ébéniste Joseph Savina. L’Exposition internationale de 1937 sera l’occasion de mettre à nouveau en avant les idéaux d’Ar Seiz Breur, à savoir « démontrer la compatibilité entre vie moderne et particularité bretonne », comme l’explique Daniel le Couédic. En 1938, René-Yves Creston prendra ses nouvelles fonctions au Musée de l’homme. Jeanne Malivel n’aurait pas eu à rougir du travail des Seiz Breur présenté au pavillon de la Bretagne sur trente mètres. Et si les pionniers de l’aventure, en élargissant le cercle, se sont parfois sentis évincés, le succès fut au rendez-vous une seconde fois. L’entrée en guerre va freiner ce bel élan. Mais la Bretagne aura su saisir la balle au bond en montrant le rôle prépondérant de ses artistes. Joëlle Robin Nominoé, statuette en faïence, œuvre de René-Yves Creston. Les illustrations ont été prêtées par le musée d'art et d'histoire de Saint-Brieuc. Ruban laine et soie pailletage argent de Jeanne Malivel. Les membres fondateurs Jeanne Malivel, l’inspiratrice du mouvement, restaure la technique de la gravure sur bois ; elle peint, dessine des meubles, des motifs de broderie, des décorations de faïence, des papiers peints, des services de table, des vitraux. René-Yves Creston, peintre et céramiste, il travailla pour Henriot à Quimper. Il termina sa carrière comme directeur du musée de Saint-Brieuc, après avoir travaillé au Musée de l’homme à Paris et réorganisé les musées d’ethnologie de Rennes et de Quimper. En 1929, il s’est tourné vers l’ethnologie, participant à une campagne de pêche à la morue en Norvège et en Islande. Il accompagna le commandant Charcot dans une croisière scientifique sur le Pourquoi pas ? Gaston Sébilleau, industriel et artiste, dirigea une entreprise de travail du bois à Redon. Il redonna aux meubles bretons un style épuré, moderne et populaire. Joseph Savina qui intégra le groupe en 1929, fabriqua des meubles dessinés par René-Yves Creston. Georges Robin, sculpteur originaire de Nantes, dessina aussi des motifs de broderie. Parmi les membres, on trouve aussi des hommes de plume et des musiciens, Octave-Louis Aubert, qui éditait la revue La Bretagne touristique et consacra un livre à Jeanne Malivel, YannSohier, le père de Mona Ozouf qui privilégiait l’apprentissage de la langue bretonne, François Eliès, qui enseigna les lettres classiques au lycée Le Braz. Le compositeur Paul Le Flem étudia avec Vincent d’Indy et Albert Roussel et, devenu professeur de contrepoint, il eut pour élèves Eric Satie et André Jolivet. ina.fr/fresques/ouest-en-memoire/fiche-media/Region00237 Des sources La création bretonne, entre tradition et modernité, Daniel Le Couédic et Jean- Yves Veillard, Editions Terre de Brume, Musée de Bretagne. Le livre semble être épuisé. Il est consultable dans les bibliothèques. Une exposition est en préparation au musée d’histoire de Saint-Brieuc pour l’été 2013 sur René-Yves Creston et Mathurin Méheut.



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