18 le maga zine du Cher portraits Le magazine du cher Ted Benoit La « Ligne Claire » chez le Grand Noir du Berry Ça a commencé par un Étrange rendez-vous. « Allez chez Ted Benoit, à Bannegon. » Ted Benoit, dessinateur de BD culte, parangon de la tendance « Ligne Claire », père du pseudo-Californien Ray Banana et repreneur classieux des mythiques et so british Blake et Mortimer. Donc, premier réflexe, chercher Bannegon le long de la Route 66 ou près de Sevenoaks, dans le Kent. Damned, la Marque jaune de Google Maps indique le sud du Cher ! On imagine alors l’homme, veste en tweed, pipe de bruyère, devant la Grande Pyramide de la cheminée du château médiéval, fierté de la commune. Mais non, c’est dans une petite maison d’écluse que reçoit Ted Benoit. Connaissant la prédilection du bonhomme pour l’épure architecturale du Bauhaus ou les ambiances urbaines d’Edward Hopper, on se demande quel Piège diabolique l’a conduit dans les rondeurs boisées de la campagne berrichonne. En fait, quittant Paris puis la Normandie, son épouse et lui ont eu le coup de cœur pour ce pays d’hommes tranquilles et ouverts. Avant de remplir les cases de ses bandes dessinées, Ted Benoit a dévoré des kilomètres de pellicules, suivi les cours de l’IDHEC*. Il en garde le sens de la mise en scène et le goût des histoires. C’est d’ailleurs ce talent-là que la profession distingue en premier Retrouver le plaisir d’inventer des univers, au rythme de vallons paisibles. en décernant à son premier album le prix du meilleur scénario au Festival d’Angoulême, en 1979. À cette époque, la BD est sortie du ghetto enfantin grâce à des magazines tels que L’Écho des Savanes et Métal hurlant, auxquels Ted Benoit collabore. La mode est alors au trait réaliste, aux héros violents et ambigus, aux héroïnes sexy et libérées, au gothique futuriste de Druillet ou aux hachures western ou fantastiques de Giraud ou Bilal. Apparue au tournant des années 1980, la « Ligne Claire » prend le contre-pied de cette mode. Elle revisite d’un œil ironique la culture américaine des années 1940, puise dans l’univers graphique francobelge des années 1950 comme dans un coffre à jouets, détourne l’héritage d’Hergé, de Franquin et de Jacobs. Ce courant rassemble alors en France les jeunes Chaland, Clerc, Cornillon, Floc’h et Ted Benoit. Le héros fétiche de ce dernier est Ray Banana, sale type mêlant Clark Gable et Marcello Mastroianni, sorte d’Olrik devenu maquereau en chemise hawaïenne. Le trait méticuleux de Ted Benoit le désigne assez naturellement à la reprise de Blake et Mortimer, orphelins depuis 1987. Une idée d’éditeur qui rejoint son désir de sortir du second degré pour « raconter des histoires ». Mais les trois ans de réalisation du premier album puis les quatre du second « essorent » littéralement ce besogneux doublé d’un rêveur fier de l’être. Qui voudrait désormais retrouver le plaisir d’inventer des univers, au rythme d’un canal paresseux et de vallons paisibles, berceuses éclectiques. François Toulat-Brisson * Institut des hautes études cinématographiques |