8 PATRIMOINE Notre-Dame de Royan le béton fait foi « Cette église a beau être de béton, disait François Mauriac, elle nous arrive pourtant du fond des siècles, elle participe de styles auxquels elle n’a rien emprunté ». Défiant les limites des techniques de construction de l’époque, ce chef-d’œuvre de l’architecte Guillaume Gillet est le symbole de la reconstruction de Royan, dévastée par les bombardements de 1945. Comme beaucoup d’églises bâties après guerre, Notre-Dame de Royan abandonne le plan traditionnel en croix. Gillet choisit une forme en « mandorle » (amande) pour la nef 1, croisement de deux segments de cercle symbolisant l’union de la terre et du ciel. L’église est bâtie dans un vaste espace triangulaire descendant vers le centreville. Gillet utilise cette pente en plaçant paradoxalement le chœur 2 (et non l’entrée) au point le plus bas du terrain qui regarde vers la ville. Autre paradoxe, il le surmonte du clocher 3, alors que celuici est traditionnellement vers l’entrée. En pénétrant dans l’église, on surplombe donc la nef et le chœur vers lesquels on descend par un large escalier 4. 7 Max Brusset (à droite) et Guillaume Gillet, débattent de la première version du projet. 9 e suis en séance de conseil « J municipal. Je vous demande de proposer des plans pour notre nouvelle église. Ce n’est pas un concours, ce n’est pas non plus une commande, c’est une consultation à vos risques et périls. Je vous donne 15 jours pour répondre, c’est-à-dire apporter des plans. Acceptezvous ? » À ce coup de fil de Max Brusset, maire de Royan, reçu à l’improviste l’hiver 1954, Guillaume Gillet répond oui sans hésiter. Dès le lendemain, il débarque dans la ville et prend « des croquis du terrain vague » où le plan d’ensemble dressé par le ministère de la Reconstruction a prévu d’édifier ce qui remplacera l’église Notre-Dame, détruite comme presque toute la ville par le bombardement de janvier 1945. Gillet connaît bien les lieux : enfant, il y allait en vacances et depuis 1949, il est l’un des « architectes-reconstructeurs » de ce « paysage lunaire de cratères et de tas de cailloux » où « on circulait à bicyclette par des pistes de fortune qui devaient éviter les rivages encore truffés de mines et de chevaux de frise ». Résultat : des croquis, « des esquisses de plan ovale » qu’il montre au maire, Max Brusset, élu l’année précédente. « Faites-moi une église plus haute que cela, s’enthousiasme Brusset, le plus haut possible ! Je veux que Royan ne soit plus une ville couchée mais une ville debout : redressez-la par la silhouette de l’église. » Comme l’écrivit plus tard Gillet, « cette indication, avec celle du crédit de dommage de guerre (100 millions d’anciens francs), fut tout le programme... » Il retourne à Paris, appelle son ami l’ingénieur Bernard Laffaille, concepteur des poteaux de béton « en V » qui portent son nom. Sur la nappe de papier d’un bistrot, les poteaux montent à 50 mètres, l’échelle « des nefs de cathédrale et des chênes de nos forêts ». Gillet retourne à Royan avec des esquisses qu’il soumet à la commission des travaux et à l’évêque de La Rochelle qui commente simplement : « Je ne vois pas très bien ce que ce sera, mais ça a l’air d’une église ». Monseigneur Bouin, le curé-doyen de l’église, qui avait passé 3 jours sous ses décombres avant d’accueillir vertement ses sauveteurs, sera plus dur à convaincre et, raconte Gillet, « ne cessa de se plaindre et de me gronder jusqu’au jour où, le chantier prenant forme et les colonnes commençant à monter dans l’espace, il me dit avec un tendre sourire de connaisseur et me couvant d’un clin d’œil complice : « Maintenant, je vois ce que vous m’avez fait : vous m’avez fait une nef du XV e ». 8 10 4 11 |