DOSSIER LA FRANCE EN RETARD Japon, Corée et États-Unis en tête. Le marché chinois en pleine expansion, tout comme celui des pays d’Europe centrale. La France et l’Europe de l’Ouest, de manière générale, très en retard. Les données brutes d’investissement dans les réseaux et d’abonnement à la fibre optique dressent un tableau plutôt alarmant pour notre pays. Sur un total de 77 millions d’abonnés à la fibre FFTH/B dans le monde fin 2011, on en comptait ainsi 22 millions au Japon, 10 millions en Corée et seulement 665 000 en France. Les particularités de chaque pays viennent cependant nuancer ce constat. Le Japon et la Corée, contrairement à la France, ont des populations urbaines très concentrées sur des territoires de faible superficie. Les États-Unis ont opté pour un modèle où la fibre ne va pas jusqu’au logement, mais s’arrête au dernier amplificateur, relayée ensuite par le câble (avec des débits dopés) ; les forfaits Internet y demeurent deux fois plus élevés, en moyenne, qu’en Europe de l’Ouest. Si de leur côté la Chine et l’Europe centrale se développent à pas de géant, c’est qu’ils adoptent directement le très haut débit, un peu comme s’ils passaient sans transition de la locomotive à vapeur au TGV. En France, la qualité du réseau haut débit ADSL et les forfaits relativement peu élevés constituent un frein au développement du très haut débit par la fibre optique. Le marché n’est pas mûr : ni les particuliers ni les PME ne voient encore tous les bénéfices qu’ils pourraient tirer de cette technologie. Avec cet engagement, ce sont près de 60% des logements français qui devraient être connectés d’ici dix ans. Reste à résoudre la question du déploiement de la fibre dans les 40% de foyers restants, situés pour la plupart dans des zones rurales ou reculées. Il faudra pour y parvenir, chacun en est conscient, des financements publics d'origine locale, nationale ou européenne venant compléter les fonds privés. C’est une source d’inquiétude pour les départements ruraux, car ce financement est loin d’être assuré. D’autant que le chantier du très haut débit patine : tous les indicateurs industriels montrent que l'investissement est en chute libre depuis un an. Au rythme actuel, ce ne sont pas dix ans, mais trente ans qui seront nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par le gouvernement. D’où des appels de plus en plus insistants pour changer de stratégie. Vers un changement de stratégie En France, priorité est donnée à l’investissement privé : le modèle français repose sur la 14 TONUS CHARENTE OCTOBRE 2012 concurrence entre opérateurs télécom. Il impose néanmoins une régulation à ces derniers *. Cette régulation est-elle suffisante ? Pas si sûr, si l’on en juge par les résultats. La concurrence n’aboutit actuellement, selon nombre d’observateurs, qu’à « enterrer dans les villes de la fibre parallèlement à celle de l'opérateur historique » au détriment des réseaux à créer dans les zones rurales. Comment dès lors assurer un équilibre entre départements riches et pauvres, comme ce fut fait lors du déploiement de l’électricité ou du téléphone ? Ne vaudrait-il pas mieux concentrer ses efforts sur un seul grand réseau qui serait mutualisé ? Les élus locaux savent pertinemment qu’ils ne pourront assurer seuls le financement des infrastructures – qui s’élèverait en Charente à 300 millions d’euros, alors que le budget du Département est de 400 millions (cf. article, p.15) ! Ils craignent pardessus tout d'être otages des intentions des opérateurs et de voir se creuser, à terme, une nouvelle fracture numérique qui signerait la mort des campagnes. C’est pourquoi ils en appellent à un pilotage fort, articulé entre l'État et les collectivités, sous la forme, par exemple, d’un « établissement public national ». Différentes stratégies sont aujourd'hui envisagées pour inciter les opérateurs privés à investir sur le réseau fibre, comme par exemple rendre l’ADSL plus cher que la fibre, pour pousser les abonnements à cette dernière… Dans tous les cas, le plan national très haut débit devrait être remis à plat dans les mois qui viennent. *En cherchant à limiter les duplications inefficaces d'infrastructures ; en encourageant la coordination des déploiements entre opérateurs ainsi que le recours au co-investissement ; en définissant des échelles de mutualisation et en associant les collectivités territoriales aux projets. D’autres modèles sont possibles. L’Australie, par exemple, a choisi de constituer une société nationale de déploiement d'un réseau unique partagé par tous. Le Royaume-Uni s’appuie sur les capacités de l'opérateur historique tout en imposant une séparation fonctionnelle de l'entité en charge du déploiement du FTTH. La Suède quant à elle privilégie l'approche locale, l'investisseur public local devançant les investisseurs privés pour déployer des réseaux neutres. |