[14] Le Calvados n°110 déc 12/jan-fév 2013
[14] Le Calvados n°110 déc 12/jan-fév 2013
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°110 de déc 12/jan-fév 2013

  • Périodicité : trimestriel

  • Editeur : Conseil Général du Calvados

  • Format : (230 x 300) mm

  • Nombre de pages : 48

  • Taille du fichier PDF : 7,7 Mo

  • Dans ce numéro : une collectivité moderne, innovante et efficace

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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histoire & légendes par Michel de Decker Joyeux Noël, Mathieu ! Nadiia Starovoitova - Fotolia.com Caen, le 25 Novembre de 1950. La lourde porte de la maison d’arrêt du général Duparge s’ouvre en grinçant un peu sur ses gonds. La construction de cette prison s’est achevée en 1904, c’est inscrit dans la pierre ; et, 1904, c’est précisément l’année de la naissance de Mathieu, l’homme trapu, à qui le gardien adresse un léger signe de tête en disant : – Alors, ça y est ? T’as fait ton temps ? Eh bien, bonne chance, mon gars ! Et je te dis pas à la revoyure ! Te voilà revenu, toi ? Donc, maintenant Mathieu est libre, il a payé sa dette à la société, comme on dit, et il peut, tout comme un autre, lever fièrement la tête et s’emplir les poumons de la tiédeur de cette belle journée d’automne. À quarante-six ans, dont trois passés derrière les barreaux de la prison pour avoir escroqué le Pari mutuel urbain, la vie peut encore lui sourire. Loin des champs de courses, évidemment ! Oui, c’est de l’histoire ancienne tout ça, il n’a aucune envie de repiquer à la « Cellulaire » du quartier Maladrerie, même si à cette époque-là, la maison d’arrêt était « agrémentée » d’une basse-cour, d’un jardin potager et de quelques arbres fruitiers. Non, dorénavant il sera un honnête homme. Allez, en route, direction Bayeux ! Pourquoi Bayeux ? Parce qu’il espère que son frère aîné, André, un riche notaire possédant un superbe hôtel particulier sur les bords de l’Aure, va pouvoir lui offrir son premier repas de liberté et, pourquoi pas, l’héberger quelques jours, le temps de voir venir. Mais l’accueil est glacial. Court sur pattes, l’œil noir, la moustache sévère, le maître de maison se contente de lui lancer : – Te voila revenu, toi ? Il ne manquait plus que ça ! – Oui, je… je suis sorti ce matin, bredouille Mathieu, la tête basse. D’une voix dans laquelle on sent la colère contenue, le notaire ajoute : – Et naturellement, ta première visite est pour moi ! Je ne t’en remercie pas ! Tu imagines quand même que ça ne m’a pas été facile, pendant trois ans, dans mon métier, d’être le frère d’une crapule ! Puis, il ajoute sèchement, comme s’il s’adressait à un chien : – Suis-moi dans mon bureau ! Lorsque Mathieu s’approche d’un lourd fauteuil en cuir, son frère l’interpelle : – Non, il est inutile de t’asseoir. Je n’ai pas de temps à perdre avec toi. Il ouvre alors le tiroir d’un secrétaire marqueté, en extrait une épaisse liasse de billets de banque et la lance au visage de son cadet en grognant : – C’est sans doute ce que t’es venu chercher ? Allez, prends ça et file ! Je ne veux plus entendre parler de toi, plus jamais ! – Je ne veux pas de ton argent, lui répond Mathieu, j’étais simplement venu te demander un conseil. Je ne veux pas de ta charité, non, mais ce en quoi tu as raison, c’est que tu ne me reverras plus jamais, en effet. Adieu ! Quiconque l’aurait alors vu quitter l’hôtel particulier des bords de l’Aure aurait pu observer qu’en quelques secondes il avait pris près de dix ans d’âge. Une semaine plus tard, il avait trouvé une place de déménageur à Lisieux. Mais si le patron de la maison se moquait éperdument de son casier judiciaire qui n’était pas 40 www.calvados.fr
blanc comme neige, ses collègues, eux, au bout de quelques jours, avaient semblé le mettre en quarantaine. – Ouais, nous, on n’aime pas travailler avec du gibier de potence, lui avait simplement expliqué le contremaître. Même son de cloche à Courseulles-sur- Mer, où il s’était ensuite fait embaucher chez un ostréiculteur ; on se méfiait de lui, on le rejetait. Les étrennes des employés À ce rythme-là, au début du mois de décembre, après avoir épuisé le petit pécule qu’il s’était constitué sur sa part de travail durant ses trois années de détention, Mathieu fut bientôt sans domicile fixe. Et c’est à cet instant qu’une abominable idée commença à germer dans sa tête : puisque la société ne voulait plus de lui, il allait lui déclarer la guerre. Alors il prit la direction de Pont-l’Évêque où il existait une fromagerie dans laquelle il avait travaillé, autrefois, avant ses années de prison. Il savait aussi que le directeur de l’établissement, qui était de la vieille école, et qui se méfiait des banquiers comme de la peste, conservait toujours une grosse somme d’argent en liquide pour les étrennes de ses employés. 24 décembre au soir. – Je vais faire le coup cette nuit, se dit Mathieu. Je serai tranquille, ils seront tous en train de réveillonner. Après ça, je serai à l’abri du besoin pour un bon moment… Les bureaux de l’entreprise se trouvant à quelques pas de la petite église Saint- Mélaine dans laquelle on se préparait à célébrer une messe de minuit, en attendant que Mathieu parvint à ressortir du brasier en brandissant délicatement son précieux fardeau à bout de bras. » le calme soit tombé sur la ville, il décida d’aller assister au début de l’office. – Quelle belle crèche, mon Dieu, se ditil avant de s’agenouiller discrètement sur un des prie-Dieu de cette église aux voûtes archi-séculaires. C’était une crèche vivante, en effet, comme on en voit quelquefois dans les églises de campagne. C’est-à-dire que là, dans la paille, il y avait un vrai bébé qui tenait le rôle de l’enfant Jésus. La vierge Marie, Joseph, l’âne et le bœuf, eux, étaient de grandes statues de plâtre, mais le poupon, lui, il était bien vivant et il agitait ses petits bras en piaulant dans cet abri recouvert d’un épais toit de paille et illuminé par une dizaine de grands cierges. Mathieu, la tête enfoncée dans les épaules se recueillit quelques instants. Mais il fut bientôt réveillé de l’espèce de torpeur qui s’était emparée de lui par de grands cris de femme qui résonnèrent soudain dans l’église Saint-Mélaine. – Au feu ! Au feu ! La crèche brûle ! Sauvez mon bébé ! Vite, mon bébé ! Les flammes ! Au secours ! Les flammes ! Le toit de paille crépitait déjà violemment et menaçait de s’écrouler sur l’enfant Jésus qui allait inévitablement se retrouver enfoui sous les flambées. Et personne ne réagissait ! Les fidèles de la messe de minuit étaient comme pétrifiés et effrayés. Surtout, effrayés ! Alors, n’écoutant que son courage, Mathieu se lança dans le flamboiement, jeta sa gabardine sur le bébé et parvint à ressortir du brasier en brandissant délicatement son précieux fardeau à bout de bras. Il était temps ; quelques secondes plus tard, en histoire & légendes Natalia Kovaleva - Fotolia.com effet, toute la toiture de paille de la bergerie de Noël s’effondrait sur le berceau en bois. Mathieu tendit alors l’enfant Jésus à une dame qui le réclamait et qui était en larmes, et entreprit d’éteindre les flammèches qui couraient déjà dans ses cheveux. Évidemment, cette nuit-là, sous le coup de l’émotion, il ne fut plus question pour lui d’aller faire le tiroir-caisse de la fromagerie de Pont-l’Évêque. D’autant que la jeune maman bouleversée, s’était jetée à son cou en lui disant : – Venez demain, en fin de matinée, au manoir de Saint-Hymer, Monsieur, s’il vous plaît. Mon mari et moi vous y attendrons pour le déjeuner. Un déjeuner lors duquel les « parents » de l’enfant Jésus lui proposèrent tout simplement de l’embaucher – logé-nourri et sans paris truqués, cette fois ! – pour veiller sur leur petit haras, le responsable en étant un vieux monsieur sur le point de partir en retraite. Joyeux Noël, Mathieu ! Alexey Pavluts - Fotolia.com www.calvados.fr 41



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