histoire & légendes par Michel de Decker Joyeux Noël, Mathieu ! Nadiia Starovoitova - Fotolia.com Caen, le 25 Novembre de 1950. La lourde porte de la maison d’arrêt du général Duparge s’ouvre en grinçant un peu sur ses gonds. La construction de cette prison s’est achevée en 1904, c’est inscrit dans la pierre ; et, 1904, c’est précisément l’année de la naissance de Mathieu, l’homme trapu, à qui le gardien adresse un léger signe de tête en disant : – Alors, ça y est ? T’as fait ton temps ? Eh bien, bonne chance, mon gars ! Et je te dis pas à la revoyure ! Te voilà revenu, toi ? Donc, maintenant Mathieu est libre, il a payé sa dette à la société, comme on dit, et il peut, tout comme un autre, lever fièrement la tête et s’emplir les poumons de la tiédeur de cette belle journée d’automne. À quarante-six ans, dont trois passés derrière les barreaux de la prison pour avoir escroqué le Pari mutuel urbain, la vie peut encore lui sourire. Loin des champs de courses, évidemment ! Oui, c’est de l’histoire ancienne tout ça, il n’a aucune envie de repiquer à la « Cellulaire » du quartier Maladrerie, même si à cette époque-là, la maison d’arrêt était « agrémentée » d’une basse-cour, d’un jardin potager et de quelques arbres fruitiers. Non, dorénavant il sera un honnête homme. Allez, en route, direction Bayeux ! Pourquoi Bayeux ? Parce qu’il espère que son frère aîné, André, un riche notaire possédant un superbe hôtel particulier sur les bords de l’Aure, va pouvoir lui offrir son premier repas de liberté et, pourquoi pas, l’héberger quelques jours, le temps de voir venir. Mais l’accueil est glacial. Court sur pattes, l’œil noir, la moustache sévère, le maître de maison se contente de lui lancer : – Te voila revenu, toi ? Il ne manquait plus que ça ! – Oui, je… je suis sorti ce matin, bredouille Mathieu, la tête basse. D’une voix dans laquelle on sent la colère contenue, le notaire ajoute : – Et naturellement, ta première visite est pour moi ! Je ne t’en remercie pas ! Tu imagines quand même que ça ne m’a pas été facile, pendant trois ans, dans mon métier, d’être le frère d’une crapule ! Puis, il ajoute sèchement, comme s’il s’adressait à un chien : – Suis-moi dans mon bureau ! Lorsque Mathieu s’approche d’un lourd fauteuil en cuir, son frère l’interpelle : – Non, il est inutile de t’asseoir. Je n’ai pas de temps à perdre avec toi. Il ouvre alors le tiroir d’un secrétaire marqueté, en extrait une épaisse liasse de billets de banque et la lance au visage de son cadet en grognant : – C’est sans doute ce que t’es venu chercher ? Allez, prends ça et file ! Je ne veux plus entendre parler de toi, plus jamais ! – Je ne veux pas de ton argent, lui répond Mathieu, j’étais simplement venu te demander un conseil. Je ne veux pas de ta charité, non, mais ce en quoi tu as raison, c’est que tu ne me reverras plus jamais, en effet. Adieu ! Quiconque l’aurait alors vu quitter l’hôtel particulier des bords de l’Aure aurait pu observer qu’en quelques secondes il avait pris près de dix ans d’âge. Une semaine plus tard, il avait trouvé une place de déménageur à Lisieux. Mais si le patron de la maison se moquait éperdument de son casier judiciaire qui n’était pas 40 www.calvados.fr |