Marseille ville violente ? Les enseignements de l’histoire DR Pour l’historienne Céline Regnard, si Marseille et les violences ont une histoire liée, c’est parce que le modèle de développement qui a caractérisé la ville au 19 e siècle repose sur l’emploi d’une abondante main d’œuvre précaire, venue d’ailleurs et se retrouvant, quand l’économie patine, doublement confrontée à la question de la violence. La nécessité, la survie d’un côté ; le besoin de sauver l’honneur de l’autre. Céline Regnard est Maître de conférences en histoire contemporaine à Aix-Marseille Université. Elle a publié « Marseille la violente » aux Presses universitaires de Rennes en 2009. Elle publiera en janvier avec Stéphane Mourlane « Batailles de Marseille - Immigration, violences, conflits - 19 e -20 e siècles » aux Presses universitaires de Provence. Accents : Vous avez étudié les violences à Marseille entre 1850 et 1914. Années où se forge l’image d’une ville dangereuse, mais aussi période de développement extraordinaire… Céline Regnard : Sur cette période, la production industrielle est multipliée par douze et la population triple quasiment. La ville s’étend. Les quartiers du centre voient leur caractère populaire s’affirmer ; de nouveaux quartiers tout aussi populaires se créent vers le Nord, souvent sous la forme de quasi-bidonvilles, pour accompagner le développement du Port et des nouvelles industries. Cette phase de croissance, autour de l’industrie, du bâtiment et du Port, repose sur l’emploi d’une main d’œuvre abondante, peu qualifiée et renouvelée sans cesse par l’arrivée de migrants, venus de l’arrière-pays, des Alpes, d’Italie puis d’Espagne ou d’Algérie. C’est une croissance qui se fonde sur une grande précarité, qu’il s’agisse de revenus ou de logement. D’autant plus que lorsque la conjoncture fléchit, l’industrie marseillaise résiste en comprimant les salaires. Ce modèle perdure au 20 e siècle jusqu’aux années 60, avec des Algériens parfois contraints d’habiter des bidonvilles et très présents sur les chantiers et dans les usines. A. : Comment la violence vient-elle s’inscrire dans ce paysage ? C. R. : Il ne suffit pas d’être dans la précarité pour devenir auteur de violences. Néanmoins, lorsque l’on regarde la composition de la population marseillaise, on remarque pour les raisons que je viens d’évoquer une sur-représentation de ceux que l’on retrouve dans toutes les études sur la violence : des hommes, jeunes et pour une part venus d’ailleurs. Sur ce terreau viennent s’ajouter une pauvreté qui peut pousser à des pratiques illégales et de fortes inégalités de richesse qui font qu’il y a des gens ou des villas à dépouiller. Dernier ingrédient, un stress lié au fait que dans la pauvreté l’honneur et la dignité sont souvent les derniers biens auxquels s’accrocher. J’ai constaté que les dettes - de jeu ou de « vie quotidienne » -, révélatrices d’une incapacité à faire face, occupent une grande place parmi les mobiles de violences à partir de la crise de 1880/90. Surtout quand cette « indignité » a été évoquée en public. A. : Cet attachement à l’honneur, et finalement à la vengeance, est-il typiquement méditerranéen ? C. R. : Les historiens retrouvent, par exemple, les mêmes réflexes et le même rôle structurel de 4 ACCENTS n°214 Interview |