[13] Accents n°213 oct/nov 2012
[13] Accents n°213 oct/nov 2012
  • Prix facial : gratuit

  • Parution : n°213 de oct/nov 2012

  • Périodicité : bimestriel

  • Editeur : Conseil Général des Bouches-du-Rhône

  • Format : (210 x 280) mm

  • Nombre de pages : 44

  • Taille du fichier PDF : 6,7 Mo

  • Dans ce numéro : batailles pour l'emploi.

  • Prix de vente (PDF) : gratuit

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« Parler d’« islamisme » ne veut plus rien dire » DR En Égypte, en Tunisie, en Lybie, des partis se réclamant de l’islam politique ont été portés au pouvoir par des élections libres. Comment interpréter cette évolution des révolutions arabes ? Quelles en seront les conséquences pour notre territoire ? Le journaliste Bernard Guetta* répond à nos questions. * Bernard Guetta spécialiste de géopolitique, anime chaque matin une chronique sur France Inter. Prix Albert-Londres, ancien du Monde et du Nouvel Observateur, il vient de publier « L’An I des révolutions arabes » aux éditions Belin. Accents : À l’enthousiasme soulevé par les révolutions arabes semble succéder aujourd’hui, chez nos concitoyens, une sourde inquiétude. Le Printemps ne fut-il qu’une parenthèse vite refermée par les religieux ? Bernard Guetta : Le Printemps arabe déçoit beaucoup de gens dans la mesure où il a amené au pouvoir des islamistes. Tout ça pour ça, entend-on. Et de plus en plus souvent s’exprime l’idée que finalement les dictatures maintenues auraient été préférables à ces victoires électorales des islamistes. Mais derrière ces réflexions, ce que l’on constate c’est une méconnaissance des dynamiques en cours dans les pays arabes. Car parler d’« islamistes », c’est faire une généralisation à partir de réalités très différentes et même contradictoires. « Islamiste » cela ne veut plus rien dire car on ne peut pas mettre dans le même sac le premier ministre turc Erdogan, dont je le dis au passage le pays affiche un taux de croissance à nous faire pâlir d’envie, le parti Ennahda au pouvoir en Tunisie et al Qaïda ou les talibans. A. : Est-ce à dire que l’exercice du pouvoir transforme ces mouvements ? B. G. : Hier, ils vivaient comme des forces contestataires plongées dans la clandestinité, exposées à la répression. Aujourd’hui, leur esprit religieux les fait encore hésiter à arbitrer définitivement en faveur de la démocratie car il est pour eux difficile d’admettre que la loi du peuple puisse contredire la loi de Dieu. Mais en même temps, c’est justement la voix du peuple qui les a élus et devant laquelle ils sont désormais responsables. Au pouvoir, ils sont obligés de se confronter à la réalité et aux aspirations de la population : le chômage doit baisser, la sécurité doit être assurée, les touristes doivent revenir et la démocratie doit être maintenue. Cela les mène tout droit, me semble-t-il, à une forme de banalisation. Ce n’est pas encore fait, mais l’évolution est très avancée : il suffit de se souvenir de ce qu’étaient les Frères musulmans, à présent au pouvoir en Égypte, il y a encore deux ans. A. : Quelle forme politique peut prendre cette évolution ? B. G. : L’évolution est difficile, les divisions internes sont fortes mais dans le sillon des Frères musulmans vont éclore en Tunisie comme en Égypte des partis islamo/conservateurs ou musulmans/démocrates tout comme il y a un siècle des partis catholiques ont essaimé en Europe, se convertissant progressivement à la démocratie. Ils exercent aujourd’hui encore une forte 4 ACCENTS n°213 Interview
A. : Pourquoi les peuples arabes, qui venaient de se libérer, ont-ils fait le choix de passer par la case de l’islam politique ? B. G. : Nous sommes en présence de sociétés très religieuses, très conservatrices, comme pouvait l’être l’Europe avant guerre. Et après tout, aux États-Unis, le poids du religieux dans la politique et la vie quotidienne est encore aujourd’hui très important. Les pays arabes sont globalement en retard en termes de développement économique. Les forces dominantes sont les petits commerçants, la paysannerie et la petite bourgeoisie. Or ces groupes sociaux, partout sur le globe et depuis toujours, expriment majoritairement des idées conservatrices. Je crois qu’il faut en passer par cette phase, islamo-conservatrice, pour que la démocratie s’impose réellement. influence, comme par exemple les démocrates-chrétiens allemands de la CDU (le parti d’Angela Merkel et Helmut Kohlndrl). En Turquie, le parti AKP est au pouvoir depuis 10 ans, et régulièrement réélu, respecte la laïcité et gère efficacement le pays même si la gauche lui reproche son libéralisme économique. A. : Le Qatar et l’Arabie Saoudite interviennent directement dans les bouleversements en cours. Voient-ils d’un bon œil les évolutions que vous décrivez ? B. G. : Les projets politiques de l’un et l’autre sont très différents. Les Saoudiens veulent exporter leur propre modèle, totalement passéiste et réactionnaire, fondé sur l’alliance du trône et du clergé. Ils s’appuient sur les salafistes, voulant respecter le Coran à la lettre et dont une partie, minoritaire, mise sur le djihadisme et la confrontation avec l’Occident. Je pense que c’est plutôt le projet qatari qui va s’imposer. Le Qatar veut bâtir de grands partis de droite conservateurs en matière religieuse et en matière de moeurs, mais libéraux en économie et alliés des États-Unis. A. : Sauf qu’en Iran, trente ans après la révolution, le pouvoir religieux, appuyé par les mêmes groupes sociaux, s’éternise et refuse de céder la place… B. G. : Le modèle iranien est totalement rejeté dans les pays arabes. Le régime iranien et sa théocratie sont jugés en faillite et leur soutien à Bachar el Assad achève de les décrédibiliser. L’Iran est assimilé aux dictatures passées et son rejet est d’autant plus fort que la ligne de fracture principale au Proche-Orient oppose aujourd’hui islam sunnite et islam chiite (pratiqué notamment par les iraniens) et non Orient et États-Unis. A. : Les révolutions arabes permettront-elles à terme de relancer la zone euroméditerranéenne qui intéresse les Provençaux au premier chef ? B. G. : Le renforcement des relations de part et d’autre de la Méditerranée sont une constante de la politique étrangère de la France. Il est clair qu’une coopération entre l’Afrique du Nord-l’Afrique tout court d’ailleurset l’Europe permettrait de constituer un ensemble totalement complémentaire, sans doute l’ensemble le plus formidable de la planète. Mais nous n’en sommes qu’au démarrage. Propos recueillis par Jean-Michel Amitrano ACCENTS n°213 Interview 5



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