4 DR JEAN-FABIEN SPITZ EST PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE POLITIQUE À L’UNIVERSITÉ PARIS I PANTHÉON- SORBONNE. ACCENTS n°210 Interview Indispensable solidarité contre les injustices Jean-Fabien SpitZ, philosophe, est un spécialiste de l’idée républicaine. Sa réflexion porte sur les rapports entre libertés et solidarité. Son dernier ouvrage, « Pourquoi lutter contre les inégalités ? » *, répond à des questions d’une actualité brûlante. * ED. BAYARD, COLL. LE TEMPS D’UNE QUESTION (2010) Accents : À chaque rendez-vous électoral, le modèle social français s’impose comme sujet de débat. En quoi consiste ce fameux modèle ? Jean-Fabien Spitz : Ce que l’on appelle « le modèle social français » n’est pas spécifique à notre pays. Toutes les démocraties occidentales ont développé, entre 1880 et 1950, un ensemble de dispositifs institutionnels et sociaux destinés à intégrer les classes populaires dans la démocratie : éducation publique, systèmes de santé financés par l’impôt ou par les cotisations sociales, assurance chômage, etc. Ces institutions sont nées de l’idée que l’égalité des droits ne garantit pas nécessairement une égalité raisonnable entre tous les citoyens dans l’accès aux conditions d’une existence autonome. C’est en effet la question soulevée par une société où les ressources naturelles et les moyens de travail font l’objet d’une appropriation privée. Dès lors, si l’on veut éviter que le régime de la liberté individuelle n’apparaisse comme une illusion aux yeux des plus faibles, il faut doter ces derniers de moyens de mener une existence indépendante. Si ce modèle social est mis à l’ordre du jour, c’est généralement pour être critiqué. En 2007, à la lumière de la thèse de « La France qui tombe », aujourd’hui au nom d’une comparaison avec l’Allemagne ou les pays émergents. Quel est le sens de cette récurrence ? J-F. S. : Ces dispositifs sociaux ont eu une influence particulièrement importante sous l’impact de la crise de 1929 et de ses conséquences. Mais leur mise en œuvre exige que l’on donne aux plus faibles des moyens de compensation leur permettant de conserver une certaine indépendance face à la puissance de contrainte d’une propriété de plus en plus concentrée. Or en faisant cela, on contrevient à la règle d’or des régimes libéraux : l’identité des règles pour tous. Cette entorse apparaît à beaucoup comme la principale raison de la stagnation des sociétés occidentales et ils en concluent qu’il faut revenir au marché pur. D’où la critique des modèles sociaux. |