Histoires d’archives Les Archives départementales racontent… Une conférence anglophile à Manosque en 1942 Un homme sous surveillance… Le gouvernement de Vichy a instauré en 1940 la « Révolution nationale », œuvre de redressement et de régénérescence morale. En mai 1942, les autorités célèbrent la « Quinzaine impériale » par une série de conférences qui permettent d’évoquer la grandeur de la France par ses colonies. Mais, en juin 1943, l’empire colonial ne sera plus qu’un souvenir car, à part l’Indochine, tout l’empire colonial français a basculé dans la résistance et le camp anglo-américain. Papier à en-tête de la Quinzaine impériale. C’est le propre des régimes autoritaires que de surveiller les individus, a fortiori lorsque ceux-ci expriment publiquement leurs divergences politiques. Cette histoire débute entre gens de qualité. Dans le cadre de la « Quinzaine impériale » célébrée en mai 1942, une conférence est organisée par la Ligue maritime et coloniale à Manosque. L’orateur, Jules Donady, est inspecteur général de l’enseignement secondaire à la retraite. Le préfet diligente des enquêtes sur celui-ci : le loyalisme de Donady à l’égard du gouvernement de Vichy n’est pas douteux. Bref, un profi l idéal ! Le commissaire de police de Manosque est plus nuancé : il a pressenti d’où le problème allait surgir. Donady est d’ailleurs sous surveillance. Son courrier est épluché et quelques bribes relatives aux affaires politiques confi rment les craintes du commissaire. Le 12 mai, Donady adresse au préfet le plan de sa conférence historique sur l’Afrique du Nord. Rien à redire ! Mais, contrairement aux directives du préfet, le texte n’a pas été soumis à la « censure locale ». Alors, le 19 mai, vers 21 heures, patatras ! « Sous le couvert de retracer une partie de l’histoire coloniale de la France », Donady prononce une conférence « à tendance nettement anglophile… qui a causé un certain froid dans l’assistance et des murmures réprobateurs » selon les mots du commissaire. En parlant au passé, Donady a évoqué le présent. Le préfet porte plainte car, écrit-il, « cette conférence a fait scandale ». Il souhaite la démission de Donady de sa vice-présidence de la Croix-Rouge et de la Ligue maritime. D’après les courriers interceptés, les correspondants de Donady envisagent clairement la défaite de l’Allemagne et critiquent vivement la politique de Vichy. Ainsi, au sujet des rafl es de juifs, l’un d’eux écrit en septembre 1942 : « Nul désastre n’autorise un pareil abaissement, ne saurait couvrir une pareille inhumanité. On peut croire, d’ailleurs, que les gouvernements rougissent de leur œuvre, parce que les journaux sont demeurés muets là-dessus. Mais l’absence de publicité n’équivaut pas à l’innocence, et un crime non imprimé reste un crime. Que sont devenues la liberté, l’égalité et la fraternité de l’ancienne devise ?… Je reconnais beaucoup mieux la France éternelle dans celle qui accueillait jadis les réfugiés espagnols que dans celle qui sépare les maris de leur femme et les mères de leurs enfants. » |